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Le président et le premier ministre de transition ont été arrêtés lundi après avoir tenté d’écarter du pouvoir deux figures emblématiques du coup d’Etat de 2020. A Bamako, la situation reste incertaine et tendue.

Le calme au milieu de la tempête. Dans la soirée du lundi 24 mai, la vie ordinaire suivait son cours à Bamako. Les grandes artères goudronnées de la capitale malienne connaissaient leur va-et-vient habituel de véhicules et de motos, dérangés aux feux rouges par les vendeurs ambulants. Et pourtant. Quelques heures plus tôt, le président de la transition, Bah N’Daw, et son premier ministre, Moctar Ouane, ont été les cibles d’un de coup de force militaire en plein centre-ville.

Venus les extraire par la force de leur domicile, des soldats ont conduit les deux chefs de la transition au camp militaire de Kati, situé à 17 kilomètres au nord de Bamako. Une prise de force attribuée par plusieurs sources à des putschistes auteurs du coup d’Etat du 18 août 2020, qui avait mis aux arrêts Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »). Le président avait alors lui aussi été conduit au camp de Kati et contraint à la démission.

« Une photocopie du 18 août 2020 »

« Ce qui se passe aujourd’hui est une photocopie du 18 août 2020 : les mêmes militaires veulent montrer une fois de plus aux autorités civiles que ce sont eux qui commandent », se désespère un habitant de Kati. Depuis l’annonce du remaniement gouvernemental le 14 mai, les tractations entre les chefs de la transition et les putschistes étaient tendues et laborieuses. « Ils se sont accrochés au pouvoir. Comme ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient par la négociation, ils l’ont tenté par les armes », estime un conseiller de la transition.

Ce coup de force intervient quelques heures après l’annonce de la nomination du nouveau cabinet. Au sein de la nouvelle équipe, la junte conservait les quatre portefeuilles ministériels qu’elle possédait au sein du gouvernement précédent (défense, sécurité, administration territoriale et réconciliation nationale). Mais deux putschistes n’ont pas été reconduits. Il s’agit de deux figures emblématiques du coup d’Etat de 2020 : les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, à qui certains attribuent le coup de force du 24 mai. Pour l’heure, la junte ne s’est pas encore exprimée. Les protagonistes de ce coup et leurs intentions demeurent donc flous.

A Bamako, au Mali, le 26 août 2020.© Fournis par Le Monde A Bamako, au Mali, le 26 août 2020.

Les colonels Camara et Koné étaient respectivement, jusqu’à lundi, ministres de la défense et de la sécurité. Dans la nouvelle équipe, ces deux membres de la garde nationale ont été remplacés par les généraux Souleymane Doucouré et Mamadou Lamine Diallo, plutôt éloignés des positions de la junte. Tous deux avaient été arrêtés lors du putsch de 2020.

« Un jeu d’équilibriste avec l’armée »

En remplaçant les deux figures de la junte par deux généraux plus neutres, le président et le premier ministre « ont joué un jeu d’équilibriste avec l’armée, leur permettant de s’affranchir de la tutelle des putschistes tout en calmant les militaires qui n’étaient pas d’accord avec eux », souligne un observateur malien au fait des questions militaires.

Pour les autorités, limiter l’influence grandissante des putschistes était une nécessité. Gouverneurs, directeurs au sein des ministères… la junte « a militarisé les services, ces derniers mois. Notamment ceux qui génèrent beaucoup d’argent », souligne le même conseiller ministériel. En remaniant le gouvernement, les chefs de la transition pensaient réussir à reprendre la main tout en faisant preuve d’ouverture politique, pour calmer les critiques sur leur mauvaise gestion des affaires.

Le colonnel Sadio Camara, à Bamako, le 19 août 2020.© Fournis par Le Monde Le colonnel Sadio Camara, à Bamako, le 19 août 2020.

Deux grands partis d’opposition devaient faire leur entrée dans la nouvelle équipe, aux côtés de leurs adversaires de l’ex-majorité présidentielle. Les cadres du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), un conglomérat d’organisations politiques et de la société civile qui avaient fait descendre massivement les Maliens dans la rue pour réclamer le départ d’IBK en 2020, avaient en revanche refusé d’y être. Ces dernières semaines, le M5-RFP faisait monter la pression contre les autorités, réclamant une dissolution du gouvernement et du Conseil national de la transition (CNT), l’organe législatif temporaire.

L’état-major, muet face au coup de force

Ces derniers jours, la tension était palpable à Bamako. Nombre de services publics de la capitale étaient déjà paralysés par une grève des fonctionnaires, lancée par la puissante centrale syndicale UNTM. En parallèle, des rumeurs difficilement vérifiables se sont multipliées autour de la dégradation des relations entre les autorités civiles et les putschistes et de remous au sein de l’armée.

Le 21 mai, l’état-major général des armées s’était « inscrit en faux contre ces informations » dans un communiqué, tout en invitant les militaires « à se concentrer sur leurs missions régaliennes, leur seule raison d’être, dans la cohésion, l’unité des troupes, l’esprit de corps et l’affirmation de la chaîne de commandement unie ». Entre les lignes, le signe d’une armée divisée, entre certains jeunes officiers projunte et le reste de l’armée, largement loyaliste. Lundi, l’état-major est resté muet face au coup de force.

Une grande partie de la communauté internationale – dont la France et l’Union européenne –, a condamné l’initiative et réaffirmé son « ferme soutien » à la transition. Dans un communiqué commun, l’Union africaine (UA), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ont appelé à la libération « immédiate et inconditionnelle » des autorités tout en prévenant que la communauté internationale rejetait « par avance tout acte imposé par la contrainte, y compris des démissions forcées ». Ce 25 mai, une délégation de la Cédéao est attendue à Bamako pour tenter de trouver une issue pacifique au conflit.

Le scénario actuel n’est pas sans rappeler l’un des nombreux épisodes qui avaient émaillé la tumultueuse transition de 2012. Neuf mois après le coup d’Etat qui avait entraîné la chute du président Amadou Toumani Touré (« ATT »), le premier ministre Cheick Modibo Diarra avait été arrêté à son domicile avant d’être conduit à Kati par des putschistes et finalement contraint à la démission. Son gouvernement était, comme celui du premier ministre Moctar Ouane, vivement critiqué pour son manque d’efficacité.

Les Maliens, résignés face aux tumultes politiques et militaires

Au milieu de ce nouveau séisme, les Maliens, eux, ont continué à vaquer à leurs occupations, comme résignés face aux tumultes de la vie politique et militaire qui viennent régulièrement bousculer et meurtrir leur quotidien. En août 2020, le Mali a connu son quatrième coup d’Etat depuis son indépendance en 1958… Ce 20 avril, un quinquagénaire syndicaliste en grève livrait une prédiction bien sentie : « Dans un Etat régulier, les militaires doivent obéir aux civils. Mais ici, celui qui porte le fusil a le pouvoir. Le Mali n’est plus un Etat : on va aller de putschs en coups d’Etat », présageait-il en buvant son café soluble, sur un banc en bois bancal.

La tentative de coup de force de lundi est un coup de plus porté à un pays déjà à terre, sur tous les fronts. Il vient annihiler les récents efforts entrepris par le gouvernement pour tenter de remettre la transition sur les rails. Chaque jour est pourtant compté. Car selon la Charte mise en place au lendemain du putsch, la transition ne doit durer que dix-huit mois. Elle est aujourd’hui à mi-chemin.

En février 2022, les élections présidentielles et législatives devront selon les textes y mettre un terme. D’ici là, les chefs de la transition ont vu grand, promettant une refondation du Mali à travers la réalisation de vingt-trois objectifs, adossés à 275 actions. Nouvelle Constitution soumise à référendum et modification de la loi électorale d’ici octobre, relecture de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 avec les ex-groupes rebelles du Nord du Mali, recrutements massifs dans l’armée pour accélérer la lutte contre le terrorisme, dans un pays où plus de deux tiers du territoire échappent au contrôle de l’Etat… Ces dernières semaines, ce programme avait déjà été jugé intenable par nombre d’acteurs maliens. Il semble aujourd’hui fortement compromis, enfonçant un peu plus le Mali dans la crise.

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