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L’Arabie Saoudite a annoncé ce 5 janvier 2021 le rétablissement des relations diplomatiques entre le Qatar et les 4 pays de la région qui le boycottaient depuis juin 2017. Le sommet de la réconciliation a eu lieu à al Ula, dans le nord du royaume saoudien. L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahrein et l’Egypte reprochaient au Qatar de soutenir les Frères Musulmans et d’autres mouvements islamistes dans la région, et d’être trop conciliants envers l’Iran. L’analyse de Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po, chercheur au CERI.

Nicolas Falez : Après trois et demi de boycott par 4 pays de la région, le Qatar revient dans le jeu alors qu’il ne semble pas avoir cédé sur les exigences qu’on lui demandait, est-ce une victoire ?

Stéphane Lacroix: On a l’impression, de ce que l’on sait, que le Qatar n’a fait de concession sur rien alors même qu’en 2017 les pays qui avaient décidé de boycotter le Qatar avaient émis une liste de demandes, comme fermer la chaîne Al-Jazira, cesser de donner asile à des opposants politiques des pays boycotteurs, etc. Or visiblement pour l’instant le Qatar n’a fait aucune concession. Dans ce sens-là effectivement le Qatar a tenu. Il ne fait pas de concession, il a réussi pendant trois ans et demi à remplacer ce qu’il avait perdu en construisant de nouvelles relations avec des pays qui jusque-là n’étaient pas dans sa sphère d’influence, en tous cas l’étaient moins, comme l’Iran et la Turquie avec lesquels il s’est rapproché pour compenser ce qu’il avait perdu avec les pays qui l’avaient boycotté. Donc le Qatar a tenu, c’est plutôt une victoire.

Le Qatar va-t-il changer de position ou continuer à avoir une attitude qui irrite ses voisins ?

Peut-être que le Qatar va mettre un peu « d’eau dans son vin » mais je ne crois pas qu’il ira plus loin, ce qui veut dire que cette crise ne se règlera pas complètement. Ce qui irritait l’Arabie va continuer d’une manière ou d’une autre. Donc, il ne faut pas s’attendre à une grande réconciliation où demain tout le monde va s’embrasser. On est dans un conflit qui, depuis trois ans et demi, a produit des blessures extrêmement profondes des deux côtés. Ça fait trois ans et demi qu’on s’insulte violemment entre Saoudiens et Qataris, pas qu’entre dirigeants mais aussi entre populations. Si vous allez sur Twitter, vous avez les comptes qataris et saoudiens qui passent leurs journées à se cracher à la figure. Ce n’est donc pas simplement une histoire de bisbilles entre dirigeants, c’est quelque chose qui a pris une ampleur bien plus importante. Ce qui fait qu’à mon avis, dans un contexte où il est peu probable que le Qatar change sa ligne, ce serait une paix froide tout au mieux, une réconciliation froide, à laquelle il faut s’attendre. Je ne crois pas que les deux États vont devenir les meilleurs amis du monde en quelques mois.

Les Émirats semblent être à l’origine de la rupture avec le Qatar. Jusqu’où peut aller la réconciliation et leurs deux visions peuvent-elles cohabiter au sein du Conseil de coopération du Golfe ?

Ce boycott, il est la suite d’un rapprochement inédit entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. En 2015, on a vu les deux pays forger une sorte de pacte de sécurité extrêmement étroit. En 2017, ce sont les Émirats qui entraînent l’Arabie dans le boycott du Qatar. Si ça n’avait pas été à l’initiative des Émirats, les Saoudiens n’y seraient pas allés. Ce qu’il s’est passé depuis deux ans, c’est que cette relation entre Ryad et Abu Dhabi, elle est en train de se distendre un peu. On commence à voir apparaître des tensions. On les a vues au Yémen où les Emiriens se sont retirés alors que les Saoudiens sont restés et ils voulaient que les Émiriens restent. On a vu des tensions sur d’autres dossiers et donc aujourd’hui il y a une crise entre l’Arabie et les Émirats, une crise qui ne dit pas son nom. On fait semblant que tout le monde s’entend bien. Mais il est évident qu’en faisant cela, les Saoudiens font une sorte de pied-de-nez en direction des Émirats. Donc ces derniers vont devoir se repositionner effectivement. Est-ce qu’ils vont suivre l’Arabie et décider qu’il faut se réconcilier ? Cela reste ouvert mais il faut voir que derrière tout ça, il y a une crise entre Arabie et les Émirats et c’est l’issue de cette crise qui déterminera la position des une sorte de pic en direction des Émirats.

Il y a aussi le rôle des États-Unis dans cette réconciliation. Est-ce un cadeau d’adieu de l’administration Trump qui voulait très fort cette réconciliation ou un cadeau de bienvenue à l’administration  Biden ou les deux ?

Je pense que c’est un peu des deux. Les Saoudiens se rendent compte qu’il faut qu’ils cèdent sur quelque chose. Et c’était le dossier sur lequel il leur était le moins coûteux de céder. La question yéménite est beaucoup plus importante pour eux parce que le Yémen est à  leur frontière sud, il y a le mouvement houthi qui entretient des relations étroites avec l’Iran et ça pour les Saoudiens c’est un problème existentiel. Donc, alors même qu’ils sont critiqués sur le Yémen, les Saoudiens ne veulent pas céder sur ce sujet. Finalement le Qatar était un dossier sur lequel ils pouvaient céder sans que ça leur coûte grand-chose, parce que c’était plutôt une affaire émirienne que saoudienne. Donc pour moi, c’est donner une sorte de gage de bonne volonté à l’administration Biden, en montrant qu’ils peuvent céder sur quelque chose. Ils savent que Biden arrive au pouvoir avec un agenda beaucoup plus hostile à leur égard que l’administration Trump, dans les déclarations en tous cas, on verra ce qu’il en sera dans les faits. Et puis, c’est peut-être aussi une manière de remercier Trump qui a quand même été un allié fidèle pendant quatre ans. Les Saoudiens font d’une pierre deux coups en effet.

rfi

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