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Victime d’éléphantiasis, Ramatoulaye Bâ est une femme de moins de 40 ans. Cette mère de cinq enfants lutte contre cette maladie tropicale négligée. Entre stigmatisation et précarité, la jeune dame souffre dans sa chair et sa dignité en prend un sacré coup. Mais cela n’a nullement ébranlé sa foi.

VIVIANE DIATTA

À trois mois de grossesse, son mari l’abandonne. La quarantaine presque révolue, Ramatoulaye Bâ est victime d’une maladie tropicale négligée (MTN) : la filariose lymphatique (éléphantiasis). Elle est la source de tous ses maux, depuis maintenant une quinzaine d’années. Stigmatisée par sa famille au sens large du terme et son entourage, cette jeune dame, esseulée avec cinq enfants à sa charge, lutte au quotidien pour sa survie. Abandonnée à son sort, elle se démène comme une diablesse pour nourrir ses cinq garçons, dont le dernier est né il y a 5 ans.

Coiffeuse de profession, Rama a dû abandonner son poste pour officier à partir de chez elle. La plupart de ses clientes ne viennent plus. ‘’Certains par pure stigmatisation ou pour des raisons inexpliquées’’, confie-t-elle avec tristesse. Dans la maison de son père à Thiès au quartier HLM Thialy, elle occupe une petite chambre dans laquelle elle vit avec toute sa progéniture. ‘‘C’est très difficile, soupire-t-elle. Mais on n’a pas le choix ; on fait avec les moyens du bord. Le plus âgé est majeur et son puiné a 15 ans. Tous, on est obligé de dormir dans la même chambre’’.

Aujourd’hui, les quelques rares clientes qu’elle reçoit constituent ses seules sources de revenus. Avec cette modique somme, elle paye les frais de scolarité de ses enfants qui sont encore à l’école et essaie de faire bouillir la marmite. Encouragée par un fils ainé, elle se confie difficilement. Replonger dans ses souvenirs, raconter les débuts de sa maladie semblent constituer un véritable calvaire.

Un soir de l’année 2007, en plein hivernage, une fièvre vient casser la routine. Ramatoulaye pensa au paludisme, une maladie très fréquente en cette période de l’année. La précaution a été prise, des médicaments pour calmer la douleur. Mais celle-ci persiste et se transforme en fièvre plus atroce. Puis, c’est la jambe droite qui commence à prendre des rougeurs ; elle ressent des bouffées de chaleur qui la brûlent de l’intérieur. Dans cette famille halpular très conservatrice, la maman, vivante à cette période, pense à un mauvais sort dont sa fille serait victime. Elle consulte alors les guérisseurs traditionnels qui lui prescrivent çà et là des remèdes. Mais sans succès ! Pendant ce temps, la maladie s’aggrave, son état de santé aussi. Mais Rama ne lâche pas prise pour autant. Elle poursuit ses consultations traditionnelles, finit par se sentir mieux et même se remarier. De ce deuxième mariage est né d’ailleurs son cadet.

Après cette union, Ramatoulaye Bâ se rend à l’hôpital avant de rejoindre le domicile conjugal. Dans cette quête d’une probable guérison, il lui a été diagnostiqué un éléphantiasis du pied droit. Une maladie qu’elle venait ainsi de découvrir. Même le nom lui est étranger. Elle rend grâce à Dieu et enfourche sa foi en bandoulière avec un optimisme inébranlable de recouvrer un jour la santé.

Le temps passe. La maladie persiste. On lui demande de ne pas contracter une grossesse. Elle opta alors pour la planification familiale, malgré l’opposition de son mari. Au bout de quelques années de vie commune, le ménage bat de l’aile et Ramatoulaye choisit de tomber enceinte pour stabiliser son foyer. Hélas, le pronostic clinique avait vu juste. Pendant la grossesse, son pied, déjà enflé, grossit davantage. A tel enseigne qu’elle ne pût le soulever. Ramatoulaye marche alors en trainant et une grossesse et le fardeau d’une jambe avec une pathologie qui lui était jusque-là inconnue.

La foire des soi-disant facilitateurs

Un malheur ne venant jamais seul, son mari l’abandonne après un trimestre de grossesse. Dans la foulée, les clients commencent à la fuir et elle perd son travail. Il n’empêche, Ramatoulaye fait l’effort de tenir le coup et porte dignement sa grossesse jusqu’à son terme. Ce sera un petit garçon, âgé aujourd’hui de 5 ans.

A l’hôpital Fann où sa maladie a été diagnostiquée durant la grossesse, on lui avait proposé une opération après l’accouchement. En attendant, il fallait suivre un traitement et endurer une souffrance inouïe. Seule, malade, ses pensées, comme un tourbillon de malheurs, valsent entre comment faire vivre une famille et trouver les moyens de se faire soigner. ‘’Quand on est croyant, confesse-t-elle, on remet toujours tout entre les mains de Dieu qui est le Seul responsable de notre destin. Aussi j’ai trouvé, je ne sais où, une force intérieure qui m’a accompagnée dans le supplice’’.

Comme si le sort s’acharnait sur elle, après lui avoir pris son mari, son travail, ses sources de revenus, la vie lui prend sa maman. Mais Rama tient à aller de l’avant. Sa grande préoccupation, c’est l’opération dont le coût est estimé à plusieurs millions de francs CFA. Hospitalisée à Fann, elle reçoit tour à tour des bonnes volontés, des journalistes avec toujours des lots de promesses, mais rien. Alors demander l’aide de la première dame du Sénégal lui avait été recommandé par des individus qui se sont présentés comme des facilitateurs. ‘’Madame Marième Faye m’a beaucoup soutenu. J’ai pu, grâce à elle et aux autres bonnes volontés, collecter les fonds qui m’ont permis de subir une première opération. Malheureusement, ça n’a pas marché comme on le souhaitait’’, dit-elle. Elle ajoute pour s’en désoler : ‘’Ce sont ces personnes qui s’étaient proposées comme des facilitateurs qui ont plus bénéficié de ces fonds qu’elles ont détournés.’’

A côté des bons samaritains, Rama a aussi vécu l’arnaque de grands escrocs qui se sont bien sucrés sur son dos. Face à ces prédateurs qui avaient fait de sa souffrance un gagne-pain, elle a décidé de sortir de l’hôpital et de retourner chez elle. ‘’J’en avais marre de voir les personnes comme des charognes vivre de ma maladie’’, regrette-t-elle. Ainsi, la deuxième opération recommandée par les médecins ne se fera pas, faute de moyens. Rester chez elle et ne rien faire étaient son option. Seulement, la douleur la rappelle vivement à la réalité et l’empêche de travailler et même de bien dormir. Cette fois, c’est la médecine traditionnelle qui sera visée. Sur les réseaux sociaux, une femme qui souffre de la même maladie se fait suivre par un guérisseur qui filme étape par étape les séances d’incantation. Un rendez-vous est ainsi pris. Une première somme est déjà payée. Mais là aussi, le problème financier sera une entrave. Le billet de transport Dakar – Thiès, deux à trois fois par semaine, devient une lourde charge.

Elle vend son lit et son armoire

La situation financière de Ramatoulaye Bâ était telle, qu’elle avait commencé à vendre ses biens pour se faire soigner. Un marabout local promet de guérir sa maladie. ‘’Il dit qu’il peut me soigner et m’a fixé un délai. Des rendez-vous sont aussi fixés. Seulement, je ne peux pas les honorer tous, parce qu’avec ce que je gagne, ce que mes enfants essaient d’apporter, on parvient à peine à assurer la dépense quotidienne’’, renseigne-t-elle.

Très sensible à sa situation, le tradipraticien lui a tout simplement offert ses honoraires. ‘’Quand il a manifesté la volonté de m’aider, j’ai vendu mon lit pour poser mon matelas par terre’’. Elle a ensuite vendu son armoire. Ses habits et ceux de ses enfants sont désormais rangés dans des sacs de fortune. Ses enfants ont aujourd’hui quitté l’école, parce que la maman n’est pas dans les dispositions de payer les frais scolaires. ‘’L’ainé a proposé d’abandonner les études pour faire de petits boulots ; son jeune frère aussi. Actuellement, les trois sont à l’école, mais j’ai peur qu’ils finissent dans la même situation’’.

Malgré les difficultés qu’elle traverse, la famille reste plus que jamais soudée et solidaire autour de la maman. Chez les enfants, un seul objectif est fixé : ‘’Réussir leur vie pour aider leur mère qui a aujourd’hui un papier signé par des médecins l’autorisant à aller se faire soigner hors du pays. Mais cela ne peut se faire par manque de moyens financiers.’’

En attendant la réussite de ses enfants où la reprise normale de son travail, c’est un appel aux bonnes volontés qu’elle lance. ‘’Je lance un appel au chef de l’Etat, le président Macky Sall et à son épouse, Madame Marième Faye Sall, à défaut au ministère de la Santé et de l’Action sociale à travers son Programme de lutte contre les maladies tropicales négligées. Nous aussi, en tant que malades, pour ne pas dire victimes, avons un rôle à jouer dans l’objectif d’éradication dont s’est fixé le Sénégal d’ici 2035, à l’instar d’autres pays du monde’’, supplie-t-elle, tout en s’arc-boutant à sa dignité face aux multiples prédateurs.

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