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Le secteur agricole a sauvé le Sénégal de la récession qui s’annonçait en 2020 avec la crise de la Covid-19. Cette résilience est due à une bonne pluviométrie et à des choix politiques forts.
 
L’économie sénégalaise s’est montrée résiliente face à la Covid-19. Les prévisions les plus pessimistes annonçaient pour 2020 une croissance en dessous de zéro, loin des 6,8% espérés avant la crise sanitaire. Finalement les compteurs afficheront 0,7%. Un taux faible, mais positif. Le Programme de résilience économique et sociale (PRES) du gouvernement a contribué à amortir le choc lié à la pandémie, mais pour Youssoupha Diallo, président du Conseil d’administration (PCA) de la Sonacos et ancien conseiller technique numéro 1 du ministère de l’Agriculture, ce résultat est « surtout » à mettre au crédit du secteur agricole. Lequel pour le réaliser, souligne-t-il dans un entretien avec Seneweb, a bénéficié d' »une bonne pluviométrie et de choix politiques judicieux et forts ».
 
Avant la campagne agricole 2020-2021, les organismes spécialisés annonçaient pour le Sénégal une bonne pluviométrie, bien répartie dans le temps et dans l’espace. Le gouvernement a saisi la balle au bond et pris une série de mesures d’anticipation telles que l’augmentation du budget alloué à la campagne. Celui-ci est passé de 40 à 60 milliards de francs CFA, soit une hausse de 50%. L’incidence a été directe : les récoltes ont explosé. Par exemple pour l’arachide, la principale spéculation, environ 1,8 million de tonnes ont été produites. Ce qui place le Sénégal, d’après le PCA de la Sonacos, « au deuxième rang des pays africains producteurs d’arachides, à égalité avec le Soudan et derrière le Nigeria qui fait environ 3 millions de tonnes ».
 
Transformation structurelle
On le voit bien, des pluies abondantes sont une condition nécessaire, mais elles ne sont pas suffisantes pour avoir des bonnes récoltes. Il faut en plus des politiques agricoles adaptés. Lesquels peuvent stimuler les performances agricoles, jusqu’à 20% selon les experts de la FAO.
 
Cette corrélation entre les politiques publiques et les performances agricoles semble avoir poussé le Président Macky Sall à faire de l’agriculture le moteur du Plan Sénégal Émergent (PSE), le référentiel de la politique économique et sociale nationale sur le moyen et le long terme. C’est ainsi que depuis 2013, le Sénégal s’est inscrit dans une dynamique de transformation structurelle du secteur agricole. Cela s’est d’abord traduit par l’augmentation du budget du ministère de l’Agriculture, qui est passé de moins 150 milliards en moyenne avant 2012 à près de 200 milliards de francs CFA (Loi de finances 2021).
 
Le renouveau de la filière arachidière, qui mobilise l’essentiel des quatre millions d’agriculteurs sénégalais, est combiné à l’introduction de nouvelles politiques pour doper les productions de riz, de céréales et de produits horticoles. Cette politique de diversification est l’un des axes forts du Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (PRACAS), le volet agricole du PSE.
 
« Cette diversification crée les conditions d’une dispersion et d’un amoindrissement des risques sur le plan agricole, justifie le PCA de la Sonacos. Plus une agriculture est diversifiée, plus elle peut supporter les chocs endogènes et exogènes, particulièrement les aléas de pluviométrie et du climat. Certaines années, on avait des informations selon lesquelles on n’aurait pas une bonne pluviométrie. Le ministère de l’Agriculture, sur instruction du chef de l’État, a souvent anticipé le déroulement de la campagne en mettant en avant les variétés adaptées au profil de l’hivernage. » 
 
Un boom des productions 
Autre transformation enregistrée ces dernières années : la reconstitution du capital semencier. Elle concerne particulièrement l’arachide, dont les semences sélectionnées avaient presque fondu. Avant 2012, soufflent des spécialistes, le Sénégal avait en effet à peine 6000 tonnes de semences sélectionnées d’arachide. Aujourd’hui, informe ces experts agricoles, le pays est à plus de 75 000 tonnes.
 
« C’est très important parce que les semences impactent pour au moins un tiers les rendements agricoles », souligne Youssoupha Diallo, qui est par ailleurs le président du Club Sénégal Émergent (CSE), un think tank de cadres de l’administration publique, du secteur privé et de la société civile œuvrant à l’atteinte des objectifs du Plan Sénégal émergent (PSE).
 
L’autre aspect du renouveau de l’agriculture est sa modernisation et surtout sa mécanisation. Le gouvernement a investi dans le matériel attelé (houes, charrues, semoirs, charrettes, etc.), qui est principalement utilisé au niveau de l’agriculture familiale, c’est-à-dire l’écrasante majorité des exploitations au Sénégal. Il a aussi investi dans la mécanisation, en introduisant des machines comme les tracteurs, les moissonneuses, les moissonneuses batteuses, les batteuses, etc., qui ont permis de booster les rendements et rendre l’agriculture moins pénible, particulièrement dans le cadre de la politique d’autosuffisance en riz.
 
Ce n’est pas tout. La dynamique de transformation dans le secteur agricole s’est traduite également par une bonne politique de prix. Le prix officiel de l’arachide est passé de 165 en 2012 à 250 francs CFA lors de la dernière campagne. Et sur le marché, le kilo peut monter à 300, 350, voire 400 francs CFA. Le gouvernement s’est par ailleurs attelé à bannir les bons impayés et à combattre les « mbapatt » qui faisaient que les récoltes étaient vendues en-deçà du prix officiel. Sans compter les efforts pour la transparence dans la distribution des semences, des engrais et du matériel agricole subventionnés.
 
Du côté du pouvoir, on estime que ces mesures ont directement provoqué un boom des productions. D’après les chiffres officiels, les récoltes de céréales (riz, mil, sorgho, etc.) sont passées de moins 3 millions de tonnes avant 2012 à presque 4 millions de tonnes en 2020. Certaines années, le Sénégal a même atteint 80 à 90% de niveau d’autosuffisance en céréales. Pour ce qui concerne les spéculations comme l’arachide, la progression est également remarquable : le Sénégal est passé de 700-800 mille tonnes en 2012 à plus d’un million de tonnes en moyenne depuis près de sept ans. En ce qui concerne les rendements par exploitation dans les zones agro-écologiques, les chiffres sont passés de 600-800 kilos à 1 tonne.
 
Concernant la production horticole, le Sénégal est presque un pays autosuffisant dans beaucoup de domaines : oignons, pommes de terre… Sans compter les légumes. Concernant le riz, le pays est passé de 450-500 mille tonnes avant 2012 à plus de 1,3 million de tonnes en 2020-2021, soit une autosuffisance qui glisse de 20% à plus de 75%.
 
Pourquoi les chiffres sont contestés
Certaines voix contestent ces chiffres ronflants. Récemment, Mamadou Alpha Diallo, président-directeur général de Nahju Agro-industrie, les a remis en cause. Pointant, notamment, des écarts entre les chiffres du ministère de l’Agriculture pour la campagne 2020-2021 et ceux du département américain de l’Agriculture qui, par exemple sur l’arachide, les minoraient de plus de 400 mille tonnes. Trois ans plus tôt, l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT), s’était signalé dans ce registre. Il affirmait que le ministre de l’Agriculture de l’époque, Pape Abdoulaye Seck, maquillait les statistiques pour enjoliver son bilan dans ce domaine. 
 
« Le débat sur les rendements a commencé vers 2015-2016, quand nous avions déclaré une production de 1 050 000 tonnes d’arachides, rembobine Youssoupha Diallo. Les gens étaient tellement surpris par ce niveau de production et peut-être déçus, pour certains, qu’il y a eu une levée de boucliers par la contestation des chiffres officiels avancés. Mais ceux qui contestent les statistiques officielles ne mettent rien à la place en termes de démonstration scientifique et surtout de méthodologie. Aujourd’hui, quand vous dites que nous avons produit 1,8 million de tonnes d’arachides et que la quantité commercialisée dans les circuits officiels fait à peu près 700 000 tonnes, vous vous dites : « mais où sont passées les 1,1 million de tonnes ? ». On peut facilement répondre à cette question. »
 
Dans cette perspective, le PCA de la Sonacos considère trois éléments. Premier élément : « Regardez cette masse d’arachides qui ne rentre pas dans le calcul : l’arachide acheté au coin de la rue, l’arachide utilisé dans la production de l’huile « seggal » (triturée artisanalement) et que l’on retrouve dans le monde rural et dans les villes moyennes… Ces produits sont versés dans la catégorie « Autoconsommation » qui représenterait réellement entre 40 et 60% de la production. » Deuxièmement : « On dit que les pertes post-récoltes font à peu près 15%. Est-ce que ce n’est pas plus que cela ? C’est à déterminer. » Troisième et dernier élément : « Ce qu’on oublie de dire c’est que ce sont les critères et les modalités d’évaluation qui posent problème. Ceux qui contestent les résultats ne remettent pas en cause la méthodologie- les « carrés de rendement »- or, c’est la même méthodologie qui est utilisée depuis l’indépendance. »
 
Revoir les bases de calcul des statistiques 
Youssoupha Diallo maintient alors que si l’on se base sur les techniques de calcul des productions, « vieilles, mais encore en vigueur », les résultats brandis par le gouvernement sont incontestables. Il en veut pour preuve l’impact de l’agriculture sur la production nationale de richesse : il souligne qu’entre 2012 et aujourd’hui la contribution du secteur au PIB est passée de 7% à 12%.
 
Il martèle : « Nos résultats sont croisés avec ceux de certains grands organismes internationaux, aussi bien au niveau africain qu’au niveau mondial : l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international, Ndlr), la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Ndlr), la Banque mondiale, le CILSS (Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel, Ndlr). Ces organismes n’ont jamais contesté nos chiffres, qui sont donnés par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal qui, reconnaissons-le, est une structure fiable, au-dessus de tout soupçon. »
 
Le PCA de la Sonacos recommande malgré tout une révision du mode de calcul des performances de l’agriculture. Selon lui, l’État doit mener des études plus fines pour savoir ce que recouvrent les concepts comme « pertes post-récoltes », « autoconsommation », « production commercialisée »… « On doit faire en sorte que les statistiques officielles soient le moins contestées, et cela est possible. Il y va de notre crédibilité, plaide-t-il. Et cela peut même avoir un impact positif dans le calcul du PIB où la contribution de l’agriculture est sous-évaluée. »
 
À suivre : Zoom sur l’agriculture (2/2) : comment le secteur agricole peut vaincre le chômage et doper la croissance

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