
« Si une exacte discipline et l’habitude des obéissances forcées ne favorisent en nous l’amour de l’ordre, nous risquons de ne l’aimer jamais. La raison vient la dernière ; il faut lui trouver un logis ; qu’à son arrivée elle le trouve bien tenu, sinon elle n’entrera pas » (Victor CHERBULIEZ)
L’histoire politique du Sénégal est sans conteste marquée par la rareté des mesures restrictives de liberté. Les Présidents Senghor et DIOUF n’ont décrété l’Etat d’urgence chacun qu’une seule fois et le Président Wade s’en est même passé. Oui, il s’en est passé après douze années à la tête du pays. En dépit d’un certain 23 juin. C’est que l’Etat d’urgence est un régime d’exception. Et la démocratie commande de gouverner par la règle et non par l’exception ! Quant au quatrième chef de l’Etat sénégalais, il a, en l’espace d’une année restreint à deux reprises les libertés de ses concitoyens. La première mesure se justifiait largement. Elle avait reçu l’adhésion de la plupart des sénégalais notamment les leaders d’opinions. Opposants et partisans du pouvoir se sont accordés tous sur la stratégie de lutte contre la pandémie. Un fonds de riposte de mille milliards a été collecté sans difficultés majeures. Mais, l’usage qui en a été fait suscite encore des interrogations. Comment comprendre qu’aucune école, qu’aucune université et qu’aucun service de l’Etat n’ait reçu aucun masque du beau-frère du président ? Pour autant, le peuple sénégalais a obéi aux normes sanitaires et sécuritaires prescrites à cet effet, par peur, par devoir et par nécessité. La contagiosité du coronavirus emportait la tyrannie de l’urgence ! Les plus sceptiques et quelques esprits rebelles ont très vite retrouvé la raison. La raison d’Etat était là, bien présente. La pandémie avait reculé du fait de la riposte bien organisée des sénégalais mais elle était également toujours là. C’est donc le relâchement des uns et des autres qui lui a permis d’avancer au point de perturber la quiétude nationale. Le relâchement a été facilité par le chef de guerre himself qui, dans un discours d’usage a appelé « à vivre avec le virus ». C’est en cela justement que le second Etat d’urgence hâtivement décrété par le Chef de l’Etat est paradoxal. Monsieur le Président veut sinon rattraper le temps perdu, du moins reprendre la bonne stratégie. Ainsi pense-t-on qu’il décide à tâtons. Il est équivoque dans sa prise de décisions dans la mesure où s’il évite bien la contradiction, il reste beaucoup qu’il n’échappe pas à une certaine ambiguïté. Le décret est tombé sur Dakar et Thiès alors qu’il fallait d’abord «lui trouver un logis ». Vivre avec le virus signifie vaquer à ses préoccupations, reprendre ses vieilles habitudes à la seule condition d’observer les mesures barrières. Il ne nécessite ni Etat d’urgence ni couvre-feu. Certes, l’urgence sanitaire est encore plus qu’une réalité mais, elle n’est pas spécifique au combat contre le coronavirus. La santé économique et financière des travailleurs notamment ceux du secteur informel qui n’ont reçu aucune subvention de l’Etat et dont le couvre-feu empêche l’exercice d’activités la nuit, est techniquement et froidement une urgence à prendre au sérieux !