
Le sujet des femmes vivant avec le VIH et qui choisissent de ne pas révéler leur séropositivité à leur famille est complexe et influencé par des facteurs sociaux, culturels et psychologiques. Ainsi, la séropositivité devient un secret qui a beaucoup de conséquences aussi bien pour la personne concernée mais aussi pour la communauté.
Dans les rues animées de Thiès, au Sénégal, D.D. se souvient du jour où sa vie a changé pour toujours. Nous étions en 1999, et elle était malade depuis des mois, son corps s’affaiblissant sans diagnostic clair. Les tests de l’hôpital local n’ont donné aucune réponse. « J’ai été hospitalisée pendant trois jours “, dit-elle, sa voix ferme mais teintée du souvenir de la peur. “Mais les médecins ne pouvaient pas comprendre ce qui n’allait pas chez moi. Finalement, on m’a envoyé à Dakar ». À Dakar, après une série de tests, la réponse est venue : séropositive. A l’époque, les antirétroviraux (ARV) étaient encore rares au Sénégal. D.D a été admis au service des maladies infectieuses et y est resté pendant 11 longs mois. « Il n’y avait pas d’ARV, se souvient-elle, je pensais que ma vie était terminée ». Mais le diagnostic n’était pas le seul fardeau qu’elle portait. Son frère, bien que très favorable, a décidé de ne pas l’informer de son état au début. « Il a tout fait pour m’aider à me rétablir», dit-elle, « mais il ne comprenait pas vraiment le VIH à l’époque. C’était un lourd fardeau pour nous deux». La réaction de sa sœur a été encore plus dévastatrice. « Un jour, lors d’une réunion familiale, ma sœur m’a accusé de cacher ma maladie. Devant tout le monde, elle a crié : Vous avez le sida ! La voix de D.D. tremble à la mémoire. « Je me suis sentie exposée, humiliée. Les gens se sont retournés pour regarder. Je suis rentrée chez moi et je n’ai dit un mot à personne ». Ce moment, bien qu’exaspérant, a marqué un tournant. « J’ai réalisé que je ne pouvais plus vivre dans le silence », dit-elle. « Je me suis assise avec mes enfants et j’ai tout expliqué. Ils ont compris, et cela m’a donné de la force. J’ai décidé de me battre, non seulement pour moi-même mais aussi pour les autres comme moi ».

Le poids du silence
Le récit de D.D reflète une lutte plus large des femmes vivant avec le VIH au Sénégal, où les normes culturelles, la stigmatisation et la désinformation forcent beaucoup à garder leur statut secret. Cependant, la campagne innovante du Sénégal Test All, Treat All, and Retain (TARTASEN) fait des progrès dans le changement de ce récit. Lancée en 2016 dans le cadre de l’engagement du Sénégal à atteindre les objectifs 90-90-90 de l’ONUSIDA, la campagne met l’accent sur le dépistage universel du VIH, l’initiation immédiate du traitement pour les personnes diagnostiquées et une forte rétention des soins. Cette approche a réduit la stigmatisation en normalisant les tests et le traitement, ce qui la rend plus accessible et moins susceptible de porter des jugements. En 2022, le Sénégal a signalé que 78 % des personnes vivant avec le VIH étaient au courant de leur statut, soit une augmentation significative par rapport à 61 % en 2016. Chez les femmes, la participation aux groupes de soutien communautaires facilités par la campagne a augmenté de 40 %. Ces groupes créent des espaces sécuritaires pour que les femmes puissent partager leurs expériences et recevoir un soutien affectif et médical.
« Je vois le changement. Les femmes qui avaient peur de parler maintenant se présentent parce qu’elles se sentent soutenues. La campagne a facilité l’accès aux soins et nous a donné la confiance nécessaire pour partager nos histoires ».
Leçons comparatives de l’Afrique
Alors que la campagne Test All, Treat All, and Retain du Sénégal a changé la donne, d’autres pays africains offrent des leçons précieuses pour lutter contre la stigmatisation entourant le VIH. L’Afrique du Sud, qui connaît la plus grande épidémie de VIH au monde, a mis l’accent sur une éducation complète et un accès généralisé aux ARV. Sa campagne Elle conquit, lancée en 2016, cible spécifiquement les jeunes femmes et les filles, s’attaquant aux questions d’inégalité entre les sexes, de stigmatisation et d’accès aux soins de santé. En 2023, l’Afrique du Sud a atteint un taux de 92 % d’adhésion au traitement chez les femmes, grâce à des programmes qui intègrent les soins contre le VIH aux services de santé maternelle. Le Botswana offre un autre exemple de réussite. Grâce à sa stratégie Treat All lancée en 2017 pour fournir un traitement anti-VIH à tous les citoyens, le Botswana a atteint un taux de 95 % de suppression virale parmi ceux qui sont sous traitement. Ces services ont été étendus aux ressortissants étrangers vivant au Botswana en 2019. La priorité accordée aux agents de santé communautaires a permis de combler le fossé entre les prestataires de soins et les populations rurales, en favorisant la confiance et en encourageant des conversations ouvertes sur le VIH.

Briser le silence au Sénégal
Le succès de ces programmes souligne l’importance des solutions communautaires pour lutter contre la stigmatisation liée au VIH. Au Sénégal, l’intégration des éducateurs par les pairs et des réseaux de soutien a joué un rôle crucial dans la réduction de la peur de la divulgation. Soukeyna Ndiaye, présidente du Réseau des associations de personnes infectées ou affectées par le VIH, souligne l’importance de l’éducation. « Quand les gens comprennent la différence entre le VIH et le sida, cela change tout », explique-t-elle. « Si une personne suit son traitement et atteint une charge virale indétectable, elle ne peut pas transmettre le virus. Ce savoir donne aux gens les moyens de vivre ouvertement ». Les efforts du réseau s’alignent sur les objectifs plus larges du Sénégal en matière de santé. En combinant l’éducation, l’accès au traitement et le soutien communautaire, le pays crée un environnement où le silence ne semble plus être la seule option.
Un appel à l’action
Pour des femmes comme D.D., briser le silence autour du VIH est à la fois un voyage personnel et collectif. Il faut du courage, de la résilience et le soutien d’une société qui écoute. « Nous devons parler ouvertement du VIH », insiste D.D « Pas seulement de la maladie mais des personnes qui en sont atteintes. Nos histoires comptent. Ils peuvent changer les esprits et sauver des vies ». Ses mots nous rappellent avec force que le silence, bien qu’il soit né de la peur, peut être brisé par l’éducation, l’empathie et l’action. Au Sénégal et dans toute l’Afrique, la lutte contre le VIH se poursuit – non seulement contre le virus mais aussi contre la stigmatisation qui maintient tant de personnes dans l’ombre. Soukeyna Ndiaye, présidente du réseau d’associations pour les personnes vivant avec le VIH ou touchées par le virus, explique que le diagnostic de VIH comporte souvent des défis psychologiques importants dus aux perceptions sociétales. La perception du VIH par la société est très lourde, dit-elle. La plupart des gens ne comprennent pas vraiment ce qu’est l’infection à VIH. Ce qui reste dans leur mémoire sont les images et messages premiers, angoissants, sur le sida, qui l’assimilent à la mort. Cette peur façonne la réaction des gens lorsqu’ils sont diagnostiqués leur premier instinct est de s’inquiéter du jugement de la société plutôt que de leur propre santé. Cela peut limiter leur adhésion aux traitements antirétroviraux ou les empêcher de bénéficier pleinement des soins ou du soutien communautaire. Transmissions involontaires : Dans le cas où le partenaire ou les membres de la famille ne sont pas informés, cela pourrait augmenter les risques de transmission. Cependant, de nombreuses femmes ont besoin d’un accompagnement professionnel pour gérer la pression et la culpabilité liées à la révélation.
« Les personnes qui cachent leur séropositivité sont beaucoup plus nombreuses que celles qui déclarent leur statut de sérologie »
Soukeyna Ndiaye, a exprimé sa préoccupation face aux défis auxquels sont confrontées les personnes qui cachent leur statut VIH. Elle a expliqué que vivre avec le VIH dans le secret est loin d’être idéal, car il perturbe souvent des aspects essentiels de la santé. « Quand quelqu’un cache son statut, il y a deux problèmes principaux », explique Mme Ndiaye. « Premièrement, leur capacité à prendre régulièrement leurs médicaments antirétroviraux peut être compromise. Ils peuvent trouver des excuses ou éviter de se rendre sur les sites de soutien par peur d’être reconnus ou jugés. Deuxièmement, ils peuvent manquer des rendez-vous médicaux critiques. Cette façon de les éviter leur empêche d’obtenir les soins et le suivi dont ils ont besoin pour gérer efficacement leur état », dit-elle. Mme Ndiaye a également révélé que la majorité des personnes vivant avec le VIH choisissent de garder leur statut privé, ce qui met en évidence la peur généralisée de la stigmatisation. « Je connais beaucoup de gens qui cachent leur statut, et ils sont bien plus nombreux que ceux qui sont ouverts à ce sujet. Sur dix personnes vivant avec le VIH, huit ne divulguent pas leur statut sérologique », a-t-elle déclaré.
Conséquences du fait de cacher le VIH
Ce secret généralisé, a-t-elle souligné, reflète la profonde stigmatisation sociale entourant le VIH et le besoin urgent de créer un environnement plus favorable où les personnes se sentent en sécurité en partageant leur statut sans crainte de jugement ou de discrimination. « Il existe des situations où la polygamie et la transmission de la mère à l’enfant deviennent des facteurs critiques. Par exemple, une femme peut choisir de ne pas divulguer son statut sérologique par crainte de perdre sa maison, son mari ou le soutien de sa famille. Cela est particulièrement vrai si elle est veuve et qu’elle s’est remariée dans un ménage pour sa protection et sa sécurité. Si son statut est connu, elle risque de perdre cette protection et cette stabilité », explique-t-elle. Ce secret peut toutefois avoir de graves conséquences, comme la transmission possible du virus à son enfant si les précautions appropriées ne sont pas prises. « Dans certains cas, ce sont les hommes qui cachent leur statut. Un veuf, par exemple, peut continuer à épouser une femme, chaque épouse décédant dans des circonstances inexpliquées. La fréquence des décès multiples est souvent négligée et personne n’en cherche la cause », ajoute-t-elle. Ces scénarii mettent en évidence le besoin crucial de sensibilisation, d’éducation et de soutien pour encourager des conversations ouvertes et des mesures de santé proactives. Un autre facteur qui affecte les jeunes est la peur de révéler leur statut sérologique. Par exemple, un jeune qui est perçu comme attrayant et poursuivi par d’autres peut se sentir sous pression pour cacher son statut. Sans formation, soutien et surveillance appropriés, il y a un risque que cette personne puisse transmettre le virus par inadvertance. L’autre facteur, selon elle, c’est que parmi les personnes âgées, parfois, il y’a des couples polygames. « C’est un couple dont le mari est infecté et ses femmes sont là. À chaque fois qu’il va à l’hôpital, on lui dit d’amener ses femmes. Il ne va pas amener ses femmes. Donc le risque de transmission dans le foyer risque d’être énorme », regrette-t-elle. L’autre facteur concerne les personnes qui ont une certaine orientation sexuelle. « si c’est un garçon qui est dans un foyer, d’où on ne cherche même pas à savoir quelle est son orientation sexuelle, il peut être un MSM, population clé. Subit des pressions de la famille, va te marier. Pourquoi tu ne te maries pas ? Est-ce que tu es un homme ? Ainsi de suite, il ne cherche même pas à savoir ce qui est derrière. Si c’est un homme qui a des rapports sexuels avec un homme et qu’il est infecté, si la pression multiplie et continue, il va aller chercher une femme. Et s’il cherche une femme, celui qui cache son orientation pour aller chercher une femme, devinez qu’il va partager son statut. S’il est positif du VIH, il ne va jamais partager. Donc le risque de transmission se trouve là. Et qui c’est que cet homme ? Qui c’est que la personne qu’elle va marier ? Ça peut être vous, votre sœur, votre fille, la fille d’autrui, la sœur d’autrui. Parce que l’orientation sexuelle n’est pas écrite sur le front ni sur le dos », souligne-t-elle.
« Ce n’est pas parce que la personne ne partage son statut sérologique qu’il propage la maladie »
Malgré tous ces facteurs qui risquent de propager, le fait de ne pas partager son statut de sérologique ne contribue pas à propager le Vih. « Ce n’est pas parce que la personne ne partage son statut sérologique qu’il propage la maladie. Si elle est bien suivie et respecte son rendez-vous sa charge virale indétectable ne peut plus transmettre le virus à personne. Ceux qui se cachent et qui ne respectent pas leur traitement, qui ne respectent pas leur bilan de suivi et qui n’ont pas une charge virale supprimée peuvent être facteurs de propagation de la maladie ». Ainsi, c’est dans ce sens que le réseau des associations de personnes infectées ou affectées par le Vih a vu le jour. « Mon rôle est de sensibiliser la société, sensibiliser la population en tant que telle, pour qu’elle connaisse la différence entre le VIH et le sida. Et nous sommes en train de le faire, nous, le réseau des personnes vivant avec le VIH. Raison pour laquelle nous nous sommes constitués en réseau, à travers des organisations membres. Donc mon rôle est d’accompagner, de soutenir, d’encourager et de renforcer la capacité de la personne qui vit avec le VIH, pour qu’elle ne transmette plus le VIH à une autre personne. Ça, c’est mon rôle. Mais pour faire en sorte que les gens partagent leur statut, c’est une décision personnelle ».
Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophone.