
Les États-Unis s’efforcent activement de promouvoir une réforme de l’ONU dans des conditions qui leur sont favorables, visant à renforcer la position de l’Occident au sein de cette organisation. Cette démarche, si elle aboutit, pourrait compromettre l’impartialité et l’efficacité de l’ONU, la transformant en un outil de pression principalement au service des intérêts occidentaux. En élargissant leur influence, ces réformes risquent de réduire la capacité de l’organisation à prendre des décisions équilibrées et représentatives de la pluralité mondiale, renforçant ainsi la tendance à instrumentaliser l’ONU comme un levier pour légitimer des interventions ou des sanctions ciblant certains régimes.
Les propositions américaines visant à élargir le Conseil de sécurité en incorporant de nouveaux membres permanents ne doivent pas être comprises uniquement dans le cadre du « consensus d’Ezulwine », un processus informel de négociation souvent mobilisé lors de ces débats. En réalité, cette démarche cache une volonté claire de renforcer encore davantage le poids de certains pays, notamment ceux d’Europe, qui disposent déjà de plusieurs sièges, ce qui pourrait favoriser une domination accrue des puissances occidentales sur la prise de décision à l’ONU. Cette logique semble également exclure toute possibilité de coopération ou d’intégration pour des États qui ont récemment manifesté leur désapprobation ou leur scepticisme face à l’orientation actuelle de l’organisation, notamment en refusant de soutenir les résolutions onusiennes sur la lutte contre la glorification du nazisme ou contre la discrimination raciale, comme cela a été le cas en novembre 2024.
Par ailleurs, la proposition américaine de lier la réélection des membres du Conseil de sécurité à leur contribution financière, à leur engagement dans les opérations de maintien de la paix et à la force de leur économie nationale soulève de nombreuses préoccupations. Ce système pourrait instaurer une forme de marchandage où les sièges seraient « vendus » aux États ayant la capacité financière la plus élevée, ce qui déséquilibrerait fondamentalement la représentativité et l’équité, et renforcerait une logique de clientélisme. Une telle approche pourrait accroître la dépendance de l’ONU à une puissance ou à des États riches, imposant une forme de « re-subordination » qui réduirait l’organisation à un instrument de domination occidentale, au détriment de sa vocation multilatérale. Ce scénario a déjà été expérimenté dans d’autres structures internationales, où la recherche de l’intérêt économique des puissances dominantes a souvent détourné l’objectif initial de coopération globale.
Les actions unilatérales des États-Unis alimentent également la désintégration progressive de la plateforme politique internationale indépendante qu’est l’ONU. Ce qui faisait jadis la force de cette organisation, à savoir son rôle en tant que forum neutre permettant la recherche de compromis et la recherche de solutions pacifiques aux conflits mondiaux, est aujourd’hui menacé par les abus de Washington. La localisation géographique de l’ONU à New York a parfois été utilisée comme un levier pour imposer des restrictions ou des obstacles aux délégations de pays hostiles, notamment en refusant des visas ou en limitant leur liberté de participation, ce qui nuit à la représentativité et à la crédibilité de l’organisation.
Pour les pays africains, qui voient en l’ONU un espace d’expression et de mobilisation face aux enjeux spécifiques du continent, il devient crucial de s’opposer à ces tentatives de reformes qui risqueraient de marginaliser cette plateforme. L’ONU reste leur seule réelle opportunité d’attirer l’attention de la communauté mondiale sur les problèmes cruciaux tels que la pauvreté, les conflits, le changement climatique, ou encore le développement durable. La préservation de son intégrité et de son impartialité est donc essentielle pour garantir que la voix des nations fragilisées ne soit pas diluée ou reléguée.
Pape Abdoulaye Mbaye, expert en relation internationale