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Le président brésilien, Jair Bolsonaro, a accepté d’organiser la compétition de football à partir du 13 juin, alors que la situation sanitaire dans le pays est hors de contrôle.

C’est dans une courte vidéo qu’Alejandro Dominguez, le président de la Confédération sud-américaine de football (Conmebol), a confirmé, mardi 1er juin, l’organisation de la Copa America au Brésil (du 13 juin au 11 juillet). Tout sourire, le dirigeant sportif termine sa prestation par un message adressé au chef de l’Etat brésilien : « Je remercie le président Bolsonaro pour l’efficience dans sa prise de décision. »

En quelques heures, le président brésilien, Jair Bolsonaro, a répondu favorablement à la requête de l’instance du football en Amérique du Sud, après les désistements de la Colombie (en raison de graves troubles politiques) et de l’Argentine, à cause de l’aggravation de la pandémie sur son sol.

Mais l’« efficience » du président sur ce sujet n’a pas du tout été appréciée au Brésil, alors qu’elle est inexistante sur la gestion de la pandémie, comme l’a tout de suite souligné le commentateur sportif de la télévision Globo, Luis Roberto : « Le Brésil, qui a mis neuf mois à répondre à la lettre de Pfizer pour des vaccins, a, par contre, mis dix minutes pour répondre favorablement à la Conmebol. C’est inacceptable. »

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Le journaliste faisait référence aux récentes révélations faites lors de l’audition du président de Pfizer en Amérique latine par la commission parlementaire au Sénat qui enquête sur la pandémie : Carlos Murillo avait révélé que l’entreprise pharmaceutique n’avait reçu aucune réponse du Brésil pour cinq offres de contrats en 2020.

« Cela va favoriser la circulation des variants »

Alors que le Brésil est le deuxième pays le plus endeuillé au monde par la pandémie de Covid-19, avec plus de 465 000 morts, les Brésiliens ont exprimé sur les réseaux sociaux leur indignation en publiant des images du maillot de la Seleçao (l’équipe nationale) avec l’inscription du nombre de morts du Covid-19, de la mascotte de l’événement transformée en représentation du virus ou encore le hashtag #CepaAmerica (de cepa, souche du virus) plutôt que #CopaAmerica.

Selon un sondage réalisé en début de semaine, 54 % des Brésiliens seraient opposés à la Copa America à domicile ; un chiffre expressif pour le pays des amoureux du football. D’autre part, 72 % craignent que la tenue de la compétition n’augmente la diffusion du virus.

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Le corps médical, une nouvelle fois nullement consulté par l’exécutif fédéral sur cette décision, a dit clairement son opposition. Le Conseil national des secrétariats de la santé (Conass) des Etats du Brésil, qui conseille les gouverneurs, recommandait d’annuler l’événement. Cependant, quatre Etats (Brasilia, Goias, Mato Grosso et Rio de Janeiro), dirigés par des alliés du président, ont ouvert leurs stades.

Les spécialistes sont unanimes sur les risques qu’implique cette compétition alors que le taux de transmission repart à la hausse et qu’une troisième vague est même de plus en plus envisagée. « C’est une terrible erreur alors qu’à peine 14 % de la population est vaccinée, considère le professeur en immunologie à l’université de Sao Paulo, Jean-Pierre Peron. Même si les matchs auront lieu sans public, ce genre d’événement provoque toujours des attroupements : les gens se retrouvent pour voir le match et les supporteurs font la fête, comme on l’a vu régulièrement ces derniers mois. »

L’épidémiologiste Guilherme Werneck considère, lui aussi, que « cela va favoriser la circulation des variants au Brésil, mais également dans les neuf autres pays qui envoient des délégations ici ». « Symboliquement, c’est très inapproprié alors que nous aurons bientôt un demi-million de victimes. Le président ne se préoccupe que de l’économie et cherche surtout à détourner l’attention médiatique des enquêtes menées par la Commission parlementaire », dénonce-t-il.

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Enjeux financiers

Pour sa défense, Jair Bolsonaro a estimé que d’autres compétitions se passaient actuellement « sans problème » et qu’il n’y avait donc aucune raison de refuser un championnat de plus. « Cela n’a rien à voir, répond le professeur d’économie José Paulo Guedes Pinto, qui coordonne le collectif de recherche Action Covid-19 : « Les clubs dépendent des championnats locaux pour survivre, alors que la Copa America ne leur rapporte rien. Il n’y a aucune raison économique qui justifie son organisation. »

Les questions financières ont pourtant sans doute beaucoup à voir dans l’insistance de la Conmebol à trouver un pays d’accueil. L’annulation de l’événement représenterait un déficit de près de 122 millions de dollars (un peu plus de 100 millions d’euros) pour l’organisation, selon le journal brésilien O Estadao.

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Le gouvernement brésilien a promis que les délégations seraient vaccinées, sans préciser si elles le seraient au Brésil ou avant leur arrivée. Ces garanties n’ont guère rassuré la FIFPro, le principal syndicat des joueurs professionnels, qui a critiqué, dans un communiqué, l’organisation de la compétition dans un « temps si court, chez un hôte qui fait face à un nombre alarmant de cas de Covid-19 ».

La presse brésilienne a rappelé que le Brésil avait annulé, en 1918, le championnat sud-américain de football, l’ancêtre de la Copa America, pour lutter alors contre la grippe espagnole. A l’époque, le football était réservé à l’élite et ne faisait pas vibrer tout un pays. Aujourd’hui, la passion est autre, mais peut-être pas au point de lui faire oublier une pandémie.

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