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C’est en 2010 que Shekau prend la tête de Boko Haram et commence à ordonner des massacres de civils, des attentats suicides perpétrés par des enfants ou encore des assauts meurtriers contre l’armée dans le nord-est du Nigeria. À mesure de l’expansion sanglante de son groupe, Shekau réussit à gagner l’attention du monde entier. Notamment en 2014, lorsque Boko Haram enlève près de 300 adolescentes dans leur pensionnat à Chibok. Yeux écarquillés, rire sardonique et prêches ultraviolents : durant plus de dix ans, Abubakar Shekau, le leader de Boko Haram, a donné au monde l’image d’un chef djihadiste fanatique, depuis son fief dans le nord-est du Nigeria. Le slogan « Bring Back Our Girls » (Ramenez-nous nos filles) avait été relayé à l’époque jusqu’à la Maison-Blanche par la First Lady Michelle Obama. Ses rivaux du groupe Iswap, affilié à l’organisation État islamique, ont affirmé dans un document audio que cet homme insaisissable ? et plusieurs fois donné pour mort ? s’était suicidé à l’issue de combats.

Fils de petits fermiers pauvres

L’histoire de celui que les États-Unis considèrent comme un « terroriste à l’échelle mondiale » est d’abord celle d’un fils de petits fermiers pauvres aux vagues connaissances en théologie qui s’est radicalisé au fil des années. Ses parents, des Kanouris du sud du Niger, s’étaient installés au Nigeria voisin, dans un village de l’État de Yobe (Nord-Est) avant sa naissance, en 1965, 1969 ou 1975, selon le département américain de la Justice.

Jeune adulte, il part étudier le Coran à Maiduguri, la capitale de l’État voisin de Borno, l’un des plus pauvres du Nigeria. Là, il prend part au mouvement Boko Haram, fondé par Mohammed Yusuf, qui séduit la jeunesse dés?uvrée de Maiduguri en accusant les valeurs occidentales d’être responsables des maux dont souffre le Nigeria, comme la corruption rampante et l’immense pauvreté.

D’abord simple et insouciant, il est devenu radical

Shekau « était un homme simple et insouciant au début. Les autres étudiants se moquaient parfois de lui pour ses comportements un peu idiots qui traduisaient son déséquilibre mental », rapporte Kayam Bulama, un de ses compagnons de classe. Mais peu après sa rencontre avec Mohammed Yusuf, « il a commencé à être très emporté et radical », ajoute-t-il.

Son caractère instable et la façon dont il énonce, en vidéo, les pires atrocités avec des yeux grands ouverts et un large sourire a choqué dans le monde entier. Comme en 2012, lorsqu’il prononce face caméra : « J’aime tuer [?] comme j’aime sacrifier des poulets et des moutons. » Mais, « s’il paraît totalement fou dans les vidéos qu’il publie, il est assez intelligent pour avoir réussi à se maintenir à la tête de cette organisation aussi longtemps », souligne Jacob Zenn, chercheur à la Fondation Jamestown, un institut basé à Washington.

Un homme longtemps insaisissable

En plus de dix ans de conflit, et d’extension continue des attaques de Boko Haram au Niger, au Cameroun et au Tchad, l’armée nigériane n’a pas réussi à écraser l’insurrection. Plusieurs fois, elle avait même annoncé son décès en 2009, 2013 et 2014, avant qu’il ne réapparaisse dans des vidéos pour se lancer dans des messages de plus en plus provocants. « Le fait d’avoir été plusieurs fois donné pour mort, à tort, ou blessé sans avoir trépassé, a certainement accentué son sentiment de toute-puissance », affirme Yan Saint-Pierre, qui dirige le centre d’analyse en sécurité Modern Security Consulting Group.

L’allégeance à l’EI avant le retour aux sources de Boko Haram

En 2015, il fait allégeance à l’EI, et son groupe devient le groupe État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap). Mais un an plus tard, il est désavoué par l’EI, qui lui reproche notamment l’utilisation d’enfants pour des attentats suicides. Selon Yan Saint-Pierre, « son intransigeance, sa radicalité, lui a été reprochée par une partie des djihadistes », pourtant eux-mêmes rompus aux méthodes violentes.

Abubakar Shekau relance alors sa faction historique. Depuis cette date, deux groupes djihadistes se partagent une grande partie du nord-est du Nigeria : l’Iswap sur les pourtours du lac Tchad, et Boko Haram dans son bastion historique de la forêt de Sambisa. Ces dernières années, l’Iswap est monté en puissance, gagnant du territoire et lançant des attaques plus sophistiquées. C’est au c?ur de la forêt de Sambisa, durant des combats entre les deux groupes rivaux, que Shekau avait été grièvement blessé récemment. Alors que les rumeurs ont enflé depuis lors sur sa mort, Boko Haram n’avait, dimanche soir, pas réagi à l’annonce du décès de celui qui aura été son visage et sa voix.

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