Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Depuis dimanche, Angela Merkel doit penser très fort à cette réplique fameuse tirée de Hamlet. La chancelière allemande fait partie des responsables politiques qui ont, affirme la presse, été espionnés par les Etats-Unis avec l’aide des services de renseignement danois.
Pendant plus de deux ans, selon la chaîne de télévision publique danoise Danmarks Radio (DR), la National Security Agency (NSA) américaine s’était branchée sur des câbles de télécommunication danois pour espionner des responsables de premier plan et des hauts fonctionnaires en Allemagne, en Suède, en Norvège et en France. La NSA utilisait des moyens danois grâce à une collaboration avec les services de renseignement militaire danois, appelés FE.
Le Danemark, proche allié des États-Unis, abrite plusieurs stations d’atterrissage clés pour les câbles Internet sous-marins en provenance et à destination de la Suède, de la Norvège, de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Grâce à ces moyens techniques, la NSA a pu accéder aux SMS, aux appels téléphoniques et au trafic Internet, y compris les recherches, les chats et les services de messagerie de plusieurs personnalités politiques.
« Grotesque »
Pendant neuf mois, Danmarks Radio a mené une enquête conjointe avec Le Monde, la chaîne suédoise SVT, la chaîne norvégienne NRK, les chaînes allemandes NDR, WDR et le quotidien Suddeutsche Zeitung. Le début de l’écheveau sur lequel ils ont tiré est l’ « opération Dunhammer », lancée en 2014 par le chef du FE, Thomas Ahrenkiel, pour déterminer dans quelle mesure la NSA avait abusé de son accès aux moyens de son allié danois.
Cette opération de vérification est menée par un groupe de hackers et d’analystes du service, quatre personnes selon Le Monde, qui analysent secrètement qui la NSA a espionné grâce à cette collaboration. Leur champ de recherche se limite aux années 2012, 2013 et 2014. Les conclusions de l’opération, bouclées en mai 2015, montrent qu’Angela Merkel, le ministre allemand des Affaires étrangères de l’époque, Frank-Walter Steinmeier, et le chef de l’opposition d’alors, Peer Steinbruck, ont été espionnés. On ne sait pas encore qui en France a été espionné.
« Il est grotesque que des services de renseignement amis interceptent et espionnent effectivement des hauts représentants d’autres pays », a déclaré M. Steinbruck à la chaîne de télévision allemande ARD. « Politiquement, je considère cela comme un scandale ». Le ministre suédois de la défense, Peter Hultqvist, a déclaré à la chaîne suédoise SVT qu’il « exigeait des informations complètes sur ces choses. » Le ministre norvégien de la défense, Frank Bakke-Jensen, a déclaré à la chaîne de télévision NRK qu’il « prenait ces allégations au sérieux ».
« C’est extrêmement grave, il faut vérifier si nos partenaires de l’UE, les Danois, ont commis des erreurs ou des fautes dans leur coopération avec les services américains (…). Et puis du côté américain, voir si en effet, il y a eu (…) l’écoute, l’espionnage de responsables politiques », a déclaré ce lundi matin Clément Beaune, secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, sur France Info. Il n’a pas écarté l’idée de « tirer les conséquences en termes de coopération » avec les Etats-Unis de cette épineuse affaire.
Le message de Snowden
Depuis 2015, de nombreux responsables danois ont reçu ce rapport qui accuse les Etats-Unis. La ministre de la Défense Trine Bramsen a été informée en août dernier. C’est à cette période que le chef du renseignement militaire danois et trois autres fonctionnaires ont été renvoyés sans explication officielle. Dimanche, la ministre a réagi aux informations parues dans la presse par voie de communiqué. « L’espionnage systématique par des alliés est inacceptable », ont affirmé ses services.
À ce stade, il n’est pas établi que le Danemark savait que les Etats-Unis utilisaient son système de surveillance pour espionner ses voisins.
Cette affaire d’espionnage, si elle est confirmée, s’est produite pendant et après l’affaire Snowden, en 2013. Employé de la NSA devenu lanceur d’alerte, Edward Snowden avait alors révélé l’existence d’un système de surveillance mondiale des communications et d’internet visant notamment les Allemands et le téléphone portable de la chancelière en particulier. Ses révélations avaient provoqué une crise entre l’Allemagne de Merkel et les Etats-Unis d’Obama, qui s’était engagé à tout interrompre.
Via les réseaux sociaux, Edward Snowden a interpellé le président des Etats-Unis Joe Biden. « Il a été profondément impliqué dans ce scandale », a-t-il écrit.
Biden is well-prepared to answer for this when he soon visits Europe since, of course, he was deeply involved in this scandal the first time around.
There should be an explicit requirement for full public disclosure not only from Denmark, but their senior partner as well. https://t.co/TJL7gr6dy8
— Edward Snowden (@Snowden) May 30, 2021