À la veille du 59e anniversaire de l’indépendance ce lundi 5 juillet, le ministre des Moudjahidines (anciens combattants), Tayeb Zitouni, a déclaré à l’agence de presse officielle algérienne que la France « refuse de remettre les cartes topographiques qui permettent de déterminer les lieux d’enfouissement des déchets polluants, radioactifs ou chimiques non découverts à ce jour ».
Le ministre sortant en attente d’un nouveau gouvernement cette semaine ? répondait à une question sur la demande par le président Abdelmadjid Tebboune à la France de nettoyer les sites des explosions nucléaires et le traitement des victimes. « Nous demandons que la France vienne nettoyer les sites des essais nucléaires, une opération qui est en bonne voie. Parce qu’aujourd?hui encore, la contamination fait des victimes. Que la France soigne les victimes des essais nucléaires », avait déclaré M. Tebboune dans son entretien au Point.
« Crimes imprescriptibles »
« La partie française n’a mené techniquement aucune initiative en vue de dépolluer les sites, et la France n?a fait aucun acte humanitaire en vue de dédommager les victimes », a encore appuyé le ministre des Moudjahidines, rappelant que les essais nucléaires français (17 tirs entre 1960 et 1966) sont d?« irréfutables preuves des crimes perpétrés, dont les radiations continuent d’affecter l’homme et l’environnement ». Il s’agit, selon Tayeb Zitouni, de « crimes imprescriptibles », évoquant, en plus des essais nucléaires, « le dossier des disparus ainsi que les stigmates des lignes de Challe et Morice, les mines et les victimes du napalm ».
Dans son rapport sur la mémoire de la guerre d’Algérie remis le 20 janvier à Emmanuel Macron, l’historien Benjamin Stora a préconisé « la poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pose de mines aux frontières ».
Le responsable algérien a rappelé la création, en juin dernier, de l’Agence de réhabilitation des anciens sites d’essais nucléaires et d’explosions nucléaires français dans le Sud algérien. « Le directeur de l’Observatoire des armements, Patrice Bouveret, avait indiqué que la création de cette agence est «la concrétisation d’une volonté politique de ne plus laisser les sites en l’état», estimant qu’il s’agit d’une «bonne nouvelle pour les populations qui vivent près des zones affectées par les 17 essais nucléaires réalisés par la France entre 1960 et 1966», a rapporté l?APS.
Les demandes de l’armée algérienne
Quant au dossier des indemnisations des victimes algériennes, le ministre des Moudjahidines a dénoncé les conditions « rédhibitoires » de la loi Morin du 5 juillet 2010 et qui « n’avaient permis aux Algériens de bénéficier d’aucune indemnisation jusqu’à ce jour ».
Tayeb Zitouni a également révélé que la partie française « insiste encore sur le fait de traiter le dossier des essais nucléaires dans le plus grand secret, en dépit des nombreuses tentatives de juristes et d’associations de victimes des essais nucléaires français en Algérie, qui ont oeuvré à ouvrir l’archive, propriété des deux pays, au moins pour déterminer les sites et le champ d’essais ».
En avril dernier, le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, avait demandé à son homologue français, le général François Lecointre (qui a quitté ses fonctions depuis), son soutien « pour la prise en charge définitive des opérations de réhabilitation des sites de Reggane et d’In Ekker, ainsi que [son] assistance pour [lui] fournir les cartes topographiques permettant la localisation des zones d’enfouissement, non découvertes à ce jour, des déchets contaminés, radioactifs ou chimiques ».
La 17e session du groupe mixte algéro-français a bien eu lieu les 19 et 20 mai 2021, avait déclaré un porte-parole du Quai d’Orsay le 25 mai, rappelant que « le groupe de travail franco-algérien sur les essais nucléaires a été créé en 2008 par les autorités des deux pays ».
« Composé d’experts, il a pour mission d’étudier conjointement la question de la réhabilitation des anciens sites d’essais nucléaires au Sahara, avec pour préoccupation première la protection des personnes et de l’environnement », a ajouté le porte-parole, précisant que « la question des essais nucléaires français en Algérie est un sujet complexe. Nos deux pays travaillent ensemble à le traiter, avec le plus grand sérieux. »
Ce qui avance, ce qui bloque
Le ministre des Moudjahidines a, néanmoins tenu à préciser que les relations algéro-françaises « ont connu, ces derniers temps, un progrès remarquable en termes de suivi des dossiers de la mémoire ».
Et de citer la récente présentation « des résultats du travail du comité scientifique algéro-français chargé d’identifier les restes d’Algériens [combattants de la résistance du XIXe siècle, NDLR] se trouvant au Musée national d’histoire naturelle de Paris ».
Pour rappel, une partie de ces restes mortuaires ont été restitués à l’Algérie en juillet 2020.
Mais d’autres dossiers restent en souffrance, selon Tayeb Zitouni, qui évoque l’épineuse question des archives et des disparus lors de la guerre d’indépendance, des dossiers qui « n’ont pas connu d’évolution, ce qui requiert de la partie française de s’engager et de répondre à la demande de l’Algérie, en lui permettant de récupérer ses archives nationales et de fournir les informations suffisantes relatives aux disparus algériens et aux lieux où ils se trouvent ».
Selon ce responsable, l’Algérie a pu recenser 2 000 disparus algériens dont les lieux d’inhumation restent inconnus.
Ces dossiers mémoriels restent « au cœur des pourparlers entre l’Algérie et la France dans le cadre du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français (CIHN), des commissions ad hoc et les groupes conjoints regroupant plusieurs secteurs ministériels », d’après M. Zitouni. Mais le dernier CIHN, qui devait avoir lieu en avril dernier a été reporté. « La balle est dans le camp du gouvernement français pour organiser un autre rendez-vous », avait indiqué le président algérien au Point.