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Au moins trente-sept personnes ont été tuées depuis l’arrestation, le 18 novembre, de Bobi Wine, principal rival du président sortant Yoweri Museveni.

Soucieux de montrer à son peuple que ses trente-quatre années au pouvoir ne l’ont pas usé, le président ougandais Yoweri Museveni aime se montrer la balle au pied ou en train de faire des pompes dans l’herbe. A 76 ans, l’ancien rebelle marxiste devenu autocrate est manifestement suffisamment en forme pour briguer un sixième mandat lors de l’élection présidentielle prévue le 14 janvier 2021. « Garantir votre avenir » est le slogan de sa campagne. Le présent, lui, rime plutôt avec répression.

Trente-sept personnes ont été tuées depuis le 18 novembre dans des violences qui ont éclaté après l’arrestation – la deuxième en un mois – de Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine. Le principal rival du président sortant tenait un meeting à une centaine de kilomètres à l’est de Kampala, la capitale, quand il a été interpellé. Agé de 38 ans, ce chanteur, devenu député en 2017, et désormais candidat à la présidentielle, est l’icône de la jeunesse urbaine. Une popularité qui lui a déjà valu plusieurs gardes à vue et passages à tabac.

« Créer le chaos »

Accusé cette fois par les autorités de « violations continues des directives de la commission électorale et du ministère de la santé » concernant les mesures strictes de lutte contre le Covid-19, il a passé deux jours en garde à vue avant d’être libéré sous caution, vendredi 20 novembre. Un autre candidat de l’opposition à la présidentielle, Patrick Oboi Amuriat, avait été interpellé pour la même raison, à Gulu, dans le Nord, puis relâché.

A Kampala, où Yoweri Museveni n’a jamais été vraiment soutenu par la population, la situation est toujours très tendue. Pour contrer les manifestants, des barrages ont été érigés par les forces de l’ordre. Policiers et militaires patrouillent les rues. Des images montrant des civils armés de fusils d’assaut circulent sur les réseaux sociaux. D’après la police, près de 360 personnes ont été arrêtées dans le pays. Selon le ministre de la sécurité, Elly Tumwine, ils ont participé à un projet déjoué consistant à « créer le chaos ».

La violence qui marque ce début de campagne a suscité des réactions d’inquiétude des pays partenaires de l’Ouganda. L’Union européenne a déploré les morts et appelé le gouvernement à « assurer la sécurité de tous les candidats aux élections et de leurs partisans ». Les Etats-Unis, de leur côté, ont exhorté tous les acteurs politiques à « réduire les tensions ». Mais Yoweri Museveni n’a pas vraiment choisi l’apaisement. Vendredi, en déplacement à Kotido (Nord-Est), le chef de l’Etat a mis en garde les manifestants de l’opposition qui s’en sont pris à ses partisans. « Ils vont le regretter », a-t-il prévenu.

Au risque de précipiter son pays dans une ère d’instabilité, « M7 », comme il est surnommé, s’agrippe à ce pouvoir qu’il n’a jamais lâché depuis 1986. A l’époque, Yoweri Museveni est un « combattant de la liberté », profondément anticolonial, qui estime que « le problème de l’Afrique (…), ce ne sont pas les peuples mais les dirigeants qui veulent rester au pouvoir trop longtemps ». Aujourd’hui, il est le personnage politique qu’il abhorrait autrefois.

Autoritarisme brutal

Le Mouvement de résistance nationale (NRM), son puissant parti, doit composer avec d’autres depuis 2005 et l’avènement tardif du multipartisme en Ouganda. Mais Yoweri Museveni avait pris soin, en parallèle, de modifier la Constitution pour briguer de nouveaux mandats. « Comment pourrais-je quitter une bananeraie que j’ai plantée et qui commence à donner des fruits ? », avait-il déclaré lors de sa campagne, en 2016.

Depuis, le Parlement, contrôlé par le NRM, a approuvé une nouvelle réforme constitutionnelle qui supprime la limite d’âge de 75 ans pour devenir président. Comme Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville, Paul Kagame au Rwanda, Yoweri Museveni remporte avec constance des élections contestées. Son régime militaire, qui mêle autoritarisme brutal et libéralisme économique, a séduit un temps ses partenaires occidentaux.

« C’est l’histoire de vieux rebelles au pouvoir qui pensent que le pays leur appartient et réagissent par la force face à une pop star dont les chances de l’emporter sont plus que minces », décrypte un diplomate européen en poste à Kampala. Près de 77 % des Ougandais ont moins de 25 ans. Ils n’ont connu qu’un seul chef d’Etat et aucune alternative crédible jusqu’à l’émergence de Bobi Wine.

« [M. Museveni] a fait quelques bonnes choses mais son temps est écoulé », martèle l’opposant. A sa sortie de garde à vue, vendredi, le plus charismatique des neufs autres candidats en lice a d’ailleurs continué de défier celui qu’il considère comme un « dictateur », proclamant, le poing levé « Freedom must come ! » (« La liberté doit triompher »).

La popularité du chanteur, qui s’était fait connaître pour ses titres dénonçant les inégalités sociales puis son courage face au régime, s’étend désormais au-delà des villes. Il séduit de plus en plus dans les campagnes, traditionnellement acquises à Yoweri Museveni. Son mouvement grandit, mais reste fragile et désorganisé face au NRM, sa discipline militaire et son budget illimité. Le régime en place est peut-être crépusculaire mais son chef, lui, veut croire qu’il peut encore défier le temps.

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