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Depuis 2014 le délai pour créer une entreprise au Sénégal est passé de près de deux mois à deux jours ou, dans certains cas, 24 heures. Seneweb a tenu le chrono derrière trois jeunes entrepreneurs.
 
Cheikh Konaré est un agent de transit de 41 ans à l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) de Diass. Avec sept de ses collègues et amis, il a créé en 2019 le Groupement d’intérêt économique (GIE) Karfa Bougou. Il est le président de ce multiservice qui fait de l’import-export, du transit, de l’agrobusiness… En deux jours, il a obtenu son NINEA et son registre de commerce à l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), qui traite les demandes d’immatriculation de société à travers son Bureau d’appui à la création d’entreprise (BCE).
 
Dieynaba Kane, 26 ans, est politiste. Cette « militante engagée pour la préservation du patrimoine culturel et l’environnement » a fondé « avec une amie » un GIE en septembre 2020. Il lui a fallu 48 heures, comme Konaré, pour faire enregistrer leur entreprise de commercialisation de vaisselle et d’accessoires décoratifs écologiques. « Nous utilisons la calebasse, un récipient de plus en plus délaissé, comme matière phare », informe la jeune dame. N’eut été une grève des greffiers, qui a handicapé le BCE, elle n’aurait pas attendu plusieurs mois avant de recevoir les papiers de leur GIE.
 
Âgé de 26 ans lui aussi, Abou Sow est commerçant. Il a fondé en 2016 sa première société individuelle d’import-export. Avant, il était associé dans des SARL au Sénégal et au Mali. Il a déposé son dossier un vendredi et le lundi suivant, il a obtenu son NINEA et son registre de commerce. Le même jour, il a introduit une demande pour une carte import-export et une carte commerçant. Et le lendemain, mardi, il était servi.
 
Le rôle pivot du BCE de l’Apix
Naguère, ces trois jeunes entrepreneurs auraient mis près de deux mois pour créer leur entreprise respective. L’Apix signale que le délai pour faire enregistrer sa société est, en effet, passé de 58 jours à 48 heures « pour les personnes physiques » et, « pour les personnes morales », à 24 heures. Dans le premier cas, les formalités peuvent être accomplies directement au niveau de l’Apix; pour le deuxième, l’enregistrement se fait par l’intermédiaire d’un notaire.
 
Sur le site du ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, la courte durée d’exécution et la simplicité des procédures de création d’entreprise sont listées parmi les bonnes raisons d’investir au Sénégal. « Cette réduction du délai a été possible avec le regroupement de toutes les administrations intervenant dans le processus de création d’entreprise », informe Angélique Pouye, la chef du Bureau d’appui à la création d’entreprise (BCE) de l’Apix, contactée par Seneweb.
 
Ces services mis en synergie sont la Direction générale des impôts et domaines (DGID), le Greffe, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) et l’Inspection du Travail et de Sécurité sociale. Ils sont connectés grâce à « Orbus entreprise », une plateforme électronique lancée en 2014 et fruit d’une collaboration entre l’Apix et Gainde 2000, dans le cadre du processus de dématérialisation des formalités de création d’entreprise.
 
Avec cet outil informatique, « le notaire peut désormais, au travers d’une déclaration unique, accomplir l’ensemble des formalités obligatoires requises pour la constitution d’une entreprise et fournir par voie électronique, tous les documents y afférents ». Il peut, quelle que soit la forme juridique choisie, créer une entreprise en moins de 24 heures. « C’est l’une des meilleures performances dans la zone OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, Ndlr) », jubile un fonctionnaire en service à Gainde 2000 qui s’est confié à Seneweb.
 
145 843 entrepries créées
Depuis la mise en place du BCE en 2007, « 145 843 entreprises, toutes formes juridiques confondues, ont été créées », selon Angélique Pouye. En outre, avec la mise en service d’Orbus, le nombre de nouvelles entreprises créées augmente chaque année : 9 529 en 2014, 11 159 en 2015, 16 621 en 2016, 18 485 en 2017, 20 139 en 2018, 21 048 en 2019 et 22 070 en 2020.
 
Les améliorations apportées dans les procédures de création d’entreprise portent également sur les coûts. Notamment, la réglementation du capital social. Pour les GIE et les sociétés individuelles, le niveau du montant est laissé à l’appréciation de l’opérateur. En ce qui concerne les SARL, l’esprit est le même mais trois leviers ont été actionnés pour alléger les charges sur le dos de l’investisseur : l’abrogation de la loi de 2014 fixant à 100 000 francs CFA minimum le capital social pour ce type de société, ce qui premet aux entrepreneurs de déterminer librement celui-ci ainsi que la valeur nominale des parts sociales ; la suppression des droits de timbres fiscaux liés à l’enregistrement des statuts, à la suite de la révision du Code général des impôts, et la baisse des frais notariés.
 
Seule la création d’une Société anonyme (SA) requiert un capital social minimum de 10 millions de francs CFA. Cependant, les conditions de mise en place de ces fonds sont assouplies : lors de la constitution de la société, c’est le quart du montant qui est exigé, soit 2,5 millions ; les entrepreneurs ont trois ans pour libérer de solde.
 
Tâche d’huile
Nos trois jeunes entrepreneurs saluent ces allègements ainsi que « les efforts de l’Apix pour baliser le parcours de l’investisseur ». « C’est encourageant, clame Dieynaba Kane. Je connais beaucoup d’entrepreneurs qui refusent de se formaliser croyant que les procédures sont compliquées. J’avais moi-même quelques réticences, pour les mêmes raisons, mais une fois à l’Apix, je me suis rendu compte qu’on peut créer son entreprise en quelques heures en bénéficiant d’un précieux accompagnement. Ils ont un très bon accueil : les agents sont courtois et pédagogues. J’ai eu une bonne expérience là-bas. »
 
Sow embouche la même trompette : « La simplification des procédures est un avantage pour nous, jeunes entrepreneurs. J’ai des amis commerçants qui redoutaient de se formaliser en se disant que les procédures étaient complexes et coûteux. Mais lorsque je les ai convaincus d’aller à l’Apix, ils ont changé de point de vue au retour. Maintenant, ils se sont formalisés et ils se rendent compte qu’ainsi, ils peuvent se positionner pour des gros marchés. »
 
Cheikh Konaré n’en pense pas moins. « Je tire mon chapeau à l’Apix, s’enflamme le président de Karfa Bougou. Ils ne se limitent pas à vous communiquer les pièces à fournir pour créer son entreprise et à enregistrer votre demande, en plus ils vous conseillent et vous orientent dans vos choix. »
 
Konaré et ses associés sont en ce moment focalisés sur leur prochain objectif : rassembler les 60 millions de francs CFA qui leur permettront d’obtenir l’agrément de la douane et ainsi pouvoir mener des opérations de transit pour le compte de leurs clients sans passer par des sous-traitants.
 
Dématérialiser davantage
Mais ces jeunes entrepreneurs ont beau chanter les louanges de l’Apix, ils n’ont pas manqué de pointer quelques aspérités à gommer dans les procédures de création d’entreprise. Ils laissent entendre que ces procédures restent exposées aux éventuelles perturbations de l’administration. Par exemple lorsque les greffiers étaient en grève en 2020, la machine était bloquée. Les formalités de création d’entreprise ne pouvaient pas être menées à terme, dans les délais habituels.
 
« Nous avons attendu plusieurs mois avant de recevoir nos documents, rembobine Dieynaba Kane. À cause de ce retard, nous avons perdu des marchés importants qu’on ne pouvait pas gagner sans l’immatriculation de notre entreprise. » Autre bémol posé par nos interlocuteurs, le décalage qu’il peut y avoir parfois entre les informations affichées sur le site et la réalité au niveau de l’Apix. « Ils doivent faire des mises à jour régulières du site », suggèrent Kane et Konaré.
 
Ce dernier, en plus, plaide pour une dématérialisation plus poussée des procédures. « Certes, souligne-t-il, on ne perd pas de temps à l’Apix. Mais la difficulté pour beaucoup d’entrepreneurs ayant d’autres activités à côté, c’est de trouver en semaine un créneau libre pour se rendre sur place. Certaines formalités ne nécessitant pas forcément une présence physique, devraient être accomplies en ligne. Ainsi, l’entrepreneur ne se déplacerait qu’une fois, le jour du retrait des dossiers et pour certaines signatures. Dans ce cas, on gagnerait encore plus de temps et l’Apix serait moins submergée. »

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