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Toute la subtilité de la diplomatie du Vatican est actuellement déployée pour gérer au mieux la relation avec la Chine populaire voulue par le pape François. Pendant près de quatre siècles, de nombreux prêtres notamment français et italiens ont officié dans l’empire chinois où de nombreuses églises et cathédrales ont été construites. Beaucoup de ces bâtiments ont été détruits et ceux qui subsistent servent parfois aujourd’hui d’entrepôts ou de hangars. Mais quelques-uns sont encore consacrés au culte et sont animés par un clergé dont les membres sont nommés par le Parti communiste chinois.

C’est avec cette «Église patriotique» que le pape, en septembre 2018, a décidé de pratiquer un rapprochement, l’objectif étant visiblement de s’associer à une pratique religieuse admise par l’État chinois pour pouvoir ainsi reprendre un mouvement d’implantation jusque dans les campagnes chinoises. Le nombre des fidèles de cette église officielle est estimé à près de 12 millions de personnes. L’accord conclu entre l’Église catholique et le Parti communiste –dont les termes précis n’ont pas été publiés– a permis à Pékin de nommer, immédiatement et avec le consentement du Vatican, sept évêques chinois. Par la suite, deux évêques ont été ordonnés en août 2019, et un autre en juin 2020. L’accord de 2018 a été renouvelé en octobre 2020, pour deux ans.

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La voie choisie par le pape ignore les croyants de «l’Église souterraine» qui, depuis que la Chine est devenue communiste en 1949, pratiquent leur foi de façon clandestine et sont réprimés par le régime. Leur nombre est impossible à déterminer mais ils seraient environ cinq millions. Selon l’ONG chrétienne Portes Ouvertes qui publie régulièrement un Index mondial de persécution des chrétiens, 1.010 de ces catholiques clandestins étaient emprisonnés en janvier 2021.

Le 21 mai, l’agence de presse italienne AsiaNews a dévoilé qu’un évêque de cette Église souterraine venait d’être arrêté à Xinxiang, dans la province du Henan. Au même moment, des prêtres et des fidèles qui participaient à un séminaire dans une petite usine étaient également appréhendés à Shaheqiao, dans la province du Hebei. L’accord passé avec le Vatican n’a donc pas mis fin à la lutte du gouvernement chinois contre les pratiques catholiques qui échappent à son contrôle. Aussi, parmi les prêtres de l’Église catholique souterraine, il en est qui ont préféré se retirer plutôt que d’être confrontés au rapprochement du pape avec le Parti communiste chinois.

Mais, depuis deux ans et demi que cet accord existe, il y bien d’autres domaines où l’attitude de la Chine s’est nettement durcie.

La persécution des Ouïghours n’est pas un sujet tabou pour le pape

Le pape ne s’est jamais exprimé sur le statut démocratique de l’île de Taïwan, s’il doit être préservé ou non. Et depuis que fin 2020, Pékin a procédé à une reprise en main de Hong Kong, le pape François s’est abstenu de tout commentaire. Après la mort de Mgr Michael Yeung en janvier 2019, le jésuite Stephen Chow Sau-yan n’a été nommé cardinal à Hong Kong que tout récemment, le 17 mai. Il va avoir la délicate obligation de se situer entre les positions du gouvernement chinois et celles des mouvements pro-démocratie hongkongais.

Le 4 juin, comme tous les ans, de nombreux catholiques du territoire se sont réunis dans les églises pour assister à des messes en souvenir des victimes du massacre de Tian’anmen, en 1989 à Pékin. Devant certains de ces lieux de culte, des pancartes avaient été apposées par la municipalité: «Chrétiens, méfiez-vous de ne pas être amenés à violer la loi sur la Sécurité nationale.» Quant à la cérémonie commémorative annuelle, elle était interdite.

«Je pense souvent aux peuples persécutés: les Rohingyas, les pauvres Ouïghours, les Yézidis […]» Le pape François dans son livre Un temps pour changer

Le Saint-Père ne s’est donc pas exprimé sur la situation à Hong Kong, mais il a finalement choisi de faire connaître son avis sur un autre sujet: la répression des populations ouïghoures de la région du Xinjiang. Les autorités chinoises exercent à leur égard un contrôle particulièrement sévère.

En novembre 2020, le Vatican attend qu’un nouvel évêque, en vertu de l’accord renouvelé un mois plus tôt, soit installé à Qingdao, au sud-est de Pékin. Aussitôt après, le 1er décembre, le pape François publie un livre sous le titre Un temps pour changer où il évoque, pour la première fois, le cas des Ouïghours. Le pape ne détaille pas précisément leur sort mais il écrit: «Je pense souvent aux peuples persécutés: les Rohingyas, les pauvres Ouïghours, les Yézidis –ce que Daech leur a fait est proprement cruel– ou les chrétiens d’Égypte et du Pakistan tués par des bombes qui ont explosé pendant qu’ils priaient à l’église.»

Placer ainsi «les pauvres Ouïghours» parmi des cas de populations persécutées a forcément déplu à Pékin. Zhao Lijian, l’un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, a réagi en affirmant que les propos du pape «n’ont aucune base factuelle». Et d’ajouter que «tous les groupes ethniques de Chine jouissent du plein droit à la survie, au développement et à la liberté religieuse».

Le site internet du ministère chinois des Affaires étrangères a publié cette mise au point avant de la retirer au bout de deux jours. Ce qui semble indiquer que, pour Pékin, l’incident est clos et que, plutôt que de lancer une polémique durable avec le Vatican, mieux vaut poursuivre la politique de développement du catholicisme en Chine telle qu’elle a été décidée en 2018.

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Les catholiques surveillés de près

Cependant, après la parution de la phrase sur les Ouïghours, le ton du pape François a quelque peu évolué à l’égard de la Chine. Le 23 mai, comme le faisait son prédécesseur Benoît XVI, il a invité les catholiques à travers le monde à prier pour les chrétiens chinois qui, chaque 24 mai, rendent hommage à la Vierge Marie dans l’église de Sheshan, à une cinquantaine de kilomètres de Shanghai: «Je vous invite à accompagner d’une prière fervente les fidèles chrétiens de Chine, nos chers frères et sœurs, que je porte au plus profond de mon cœur.»

À tout le moins, le pape François a établi une relation qui doit maintenant être prise en compte, côté chinois, par les instances du Parti communiste. À la direction de celui-ci, le département du Front uni s’occupe de l’ensemble des contacts avec les institutions qui ne sont pas communistes en Chine. Dans cette haute instance, il y a des bureaux qui surveillent de près la dizaine de «partis démocratiques» qui étaient alliés au PC lorsqu’il a pris le pouvoir en 1949. Ces formations sont autorisées à recruter un nombre limité de militants chaque année.

D’autres départements du Front uni suivent les questions religieuses. Certains fonctionnaires travaillent sur le bouddhisme avec un important secteur spécialisé dans le suivi du Tibet. Ceux qui sont chargés de la religion musulmane supervisent la répression qui sévit au Xinjiang. Et d’autres bureaux s’occupent des Chinois chrétiens. Pour ces derniers, il existe une section responsable de l’encadrement des catholiques.

Cinq siècles d’alternance entre persécutions et tolérance

La présence de ceux-ci n’est pas nouvelle en Chine. Les premiers missionnaires catholiques occidentaux sont arrivés dès le XVIe siècle. Les jésuites, dont Matteo Ricci (1552-1610) ou Joachim Bouvet (1656-1730) ont réussi à être admis à la cour des empereurs Ming puis après 1644, à celle des Qing. Parlant et lisant le chinois, ils s’illustrèrent par leur connaissance des mathématiques et de l’astronomie. Très pragmatiques, les jésuites autorisaient les fidèles chinois qu’ils convertissaient à incorporer dans le dogme catholique le culte des ancêtres et la célébration de Confucius. N’appréciant pas ces succès jésuites, les dominicains et franciscains parvinrent en 1715 à obtenir que le pape Clément XI condamne formellement les rites chinois. Cela mena l’empereur Kangxi à réagir très fermement: en 1717, il interdit la prédication du christianisme dans l’empire chinois. Que la relation entre l’Église et la Chine soit relancée par un pape jésuite semble renouer avec une tradition établie il y a quatre siècles.

La religion catholique en tout cas a refait une apparition en force dans l’empire du Milieu au XIXe siècle aux côtés des puissances coloniales européennes. En 1869, la reine Victoria et Napoléon III envoient deux armées en Chine afin de forcer le pays à ouvrir son commerce. Les bataillons anglais sont accompagnés de soldats recrutés en Inde, principalement des Sikhs. Les Français ont avec eux de nombreux prêtres catholiques. Arrivées près de Pékin, ces deux armées vont largement contribuer à mettre à sac le palais d’Été.

Les ecclésiastiques chinois doivent «montrer leur amour au Parti communiste» et «enseigner le patriotisme à leurs fidèles».

Quand un siècle plus tard, en 1949, le Parti communiste prend le pouvoir en Chine, il affirme très vite qu’il ne peut admettre la présence en République populaire d’une force religieuse active dont les prêtres dépendent de Rome. Les croyants catholiques vont être persécutés, les prêtres soumis à d’interminables séances d’autocritique. Beaucoup seront envoyés en camps de rééducation et certains –accusés d’espionnage et même d’avoir tenté d’assassiner Mao– seront exécutés. Vers 1952, les membres du clergé qui ne sont pas chinois vont être expulsés. Et pendant la Révolution culturelle, de 1966 à 1976, tous les lieux de culte vont être fermés.

Ce n’est qu’après la mort de Mao, en 1976, qu’une présence catholique réapparaît discrètement en Chine. Le prêtre Jean de Miribel s’installe à Xi’an où il officie dans l’ombre tout en enseignant le français à l’université de la ville. Les autorités le tolèrent peut-être parce qu’il est le frère d’une diplomate qui, à Londres en 1940, tapait à la machine les premiers discours que De Gaulle prononçait au micro de la BBC. Jean de Miribel est resté à Xi’an jusqu’à sa mort en 2015. Depuis une vingtaine d’années, d’autres prêtres catholiques se sont installés en Chine comme le jésuite Benoît Vermander, brillant sinologue qui enseigne la philosophie à l’Université de Shanghai et accompagne fermement la démarche du pape à l’égard de la Chine.

Une stratégie qui vise à réinstaller le catholicisme en Chine

Si, après plusieurs années de négociations, le pape a entamé en 2018 un rapprochement avec le Parti communiste, c’est dans l’idée d’amener celui-ci à ne plus combattre systématiquement le catholicisme.

En janvier dernier, le Bureau national des affaires religieuses à Pékin a publié une «ordonnance n°15» qui demande aux ecclésiastiques chinois de «montrer leur amour au Parti communiste» et «d’enseigner le patriotisme à leurs fidèles». Ils ne doivent pas «saper l’unité nationale» ou «diviser le pays».

Un code numérique personnalisé à douze chiffres faisant partie d’un système de notation est attribué à tous les membres du clergé chinois. S’il apparaît qu’ils ne se conforment pas suffisamment aux exigences du Parti communiste, ils perdront leur autorisation à poursuivre leur activité pastorale et pourront encourir des sanctions. Des mesures comparables sont appliquées aux autres religions présentes en Chine.

Pour le Vatican, ce genre d’attitude ne prête pas fondamentalement à conséquence. L’essentiel est d’avoir établi une forme de dialogue avec les dirigeants chinois –ce que n’ont pas fait les protestants ou les musulmans, notamment faute d’avoir un leader unique comparable au pape. Le pape François a mis en place une stratégie qui vise à réinstaller le catholicisme en Chine. Il s’agit à l’évidence d’une stratégie à long terme… Comme l’est très certainement celle du Parti communiste chinois.

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