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Comment détecter les signes avant-coureurs avant qu’une société bascule et les jihadistes fassent régner la loi et la terreur ? Le réalisateur sénégalais Mamadou Dia n’a pas attendu l’attaque la plus meurtrière que le Burkina Faso a connue depuis le début des violences jihadistes, en 2015, pour parler du sujet. Comment une famille, une ville, toute une société peut-elle tomber dans le piège du jihadisme ? « Le père de Nafi », un premier film magistral, est sorti cette semaine en salles en France.
 
 Mamadou Dia, lauréat du Léopard d’or, a tourné son film dans sa ville natale, Matam, dans le nord du Sénégal, près de la frontière avec la Mauritanie, dans sa langue maternelle, le poular, et pourtant, son histoire est universelle. Sidéré, on assiste, impuissant, comment ce havre de paix, où jadis les règles millénaires du vivre ensemble étaient respectées par tous, bascule dans l’extrémisme religieux.  
 
Le père de Nafi est déjà sorti dans les salles au Sénégal en 2020 avant d’être salué par les festivals dans le monde entier. Le cinéaste est un habitué des va-et-vient entre les États-Unis et le Sénégal, mais une des premières choses qu’il a faites, c’était d’acheter un projecteur et un écran géant pour montrer le film dans toute la région de son village natal.
 
« Une histoire très personnelle »
 
« Le Père de Nafi raconte une histoire très personnelle dans le sens qu’elle commence avec l’histoire d’un mariage, d’une cellule familiale. La petite ville dans le film est ma ville natale, Matam. C’est là où j’ai grandi avant d’aller à Dakar, à l’université. C’est une vie que je connais bien. C’est une vie commune où les décisions sont généralement prises en communauté. Les mariages de mes sœurs, de mes cousines, beaucoup ont été décidés de cette manière-là. »
 
Dans le film, nous faisons connaissance avec Tierno, l’imam au visage humain, respectant les exigences des traditions, mais dont le corps est gangréné par une maladie. En même temps, il est confronté à une décision difficile. Sa fille, Nafi, souhaite marier son cousin, Tokara, et s’installer à Dakar pour faire des études. Intervient alors le frère de Tierno, Ousmane, revenu d’un long séjour en Europe où il s’est radicalisé pour conquérir le pouvoir dans sa ville natale et faire fortune. Grâce à l’argent et aux militants mis à sa disposition par le mouvement djihadiste, il installe petit à petit sa loi et met à l’écart son frère et les traditions. Il approuve le mariage, et exige que Nafi reste au village, porte le voile et renonce aux études…
 
L’électrochoc Tombouctou
 
En tant que journaliste, Mamadou Dia avait visité Tombouctou, au Mali, avant et après l’invasion des jihadistes en 2012. Un électrochoc. Mais, il a eu la sagesse de ne pas nourrir l’histoire de son film avec des images spectaculaires ou violentes. Avec beaucoup de subtilités, il montre la répression à bas bruit et le glissement vers l’oppression des valeurs traditionnelles. Surtout, il prend soin de nous faire comprendre que ce sont d’abord les musulmans les premières victimes de la terreur djihadiste :
 
« Dans le film, je me suis posé la question : qu’est-ce qui se passerait si quelqu’un dans cette société décidait de corrompre le noyau de ce mariage, de cet aspect de la vie commune. La deuxième idée du film vient d’un autre fait. Depuis que je suis arrivé aux États-Unis, en 2014, chaque fois quand j’ai dit que le Sénégal est à 90 % musulman, que je suis musulman et petit-fils d’imam, je reçois toujours un regard que je n’arrive pas à lire. Et je commence à me justifier en disant : « Au Sénégal, c’est différent. En Afrique subsaharienne, on vit les religions d’une manière différente ». Mais chaque fois, je me dis pourquoi je dois me justifier d’être musulman ? Alors que la majorité des musulmans dans le monde sont des gens de paix. »
 
« Chacun a un rêve différent »
 
Malgré toutes les différences des protagonistes, il y a une chose qui les relie : d’avoir des rêves. « Chacun a un rêve différent. Et il arrive parfois que dans une famille, comme dans la famille de Tierno, nos rêves entrent en conflit avec d’autres rêves. Dans le film, personne n’est foncièrement mauvais ou bon. Nous sommes tous des êtres humains qui veulent vivre nos rêves. On arrive parfois à faire des sacrifices et ces sacrifices influencent les autres gens à côté de nous. C’est comme avec le coronavirus. Il faut comprendre comment on en est arrivé là. Une famille, comment peut-elle changer pour toujours ? Comme le monde, avec le coronavirus, qui va changer pour toujours. »

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