Le Quai d’Orsay entend réduire au maximum l’activité française civile en Afghanistan. Cette décision n’a que l’apparence du bon sens et plonge dans le désarroi des ONG remarquables comme l’Amitié Franco-Afghane, argumente Jean de Ponton d’Amécourt, ancien ambassadeur de France à Kaboul.
Jean de Ponton d’Amécourt est ancien directeur des Affaires Stratégiques au Ministère de la Défense et ancien ambassadeur de France en Afghanistan.
Les talibans ne sont pas aux portes de Kaboul, même s’ils multiplient, dans tout le pays, les attentats et attaques, meurtrières pour les forces de sécurité comme pour les populations civiles. Le gouvernement légitime, qui s’appuie toujours sur d’importantes forces militaires et policières afghanes, tient encore la capitale et la plupart des centres urbains des provinces.
Pourtant, s’appuyant sur une analyse particulièrement pessimiste de la situation, notre ambassade et le ministère des Affaires étrangères viennent de prendre, dans le plus grand secret, une décision dramatique: l’ensemble des personnels afghans, employés par la France ou relevant de projets de développement qu’elle finance, se sont vus offrir l’asile dans notre pays, pour eux et pour leurs proches. 600 auraient accepté, 140 seraient déjà arrivés sur notre territoire.
Comprenons bien ce qui est en jeu. Il ne s’agit pas cette fois de ces auxiliaires civils de nos armées, recrutés pour la plupart entre 2002 et 2014, dont, longtemps après le retrait des forces françaises, la vie était -et reste toujours aujourd’hui- gravement menacée, en particulier les anciens traducteurs: en 2020 encore, seuls 260 d’entre eux avaient fait l’objet d’un rapatriement en France, sur un total d’environ 800 concernés.
Non, cette fois, nous parlons de personnels civils employés par les services de l’ambassade ou par les ONG travaillant pour eux. La plupart des ONG, regroupées autour d’un collectif, s’émeuvent et s’insurgent. À l’instar d’AFRANE-Amitié Franco-Afghane- active depuis quarante ans en matière d’éducation, et qui publie, depuis la même période, la revue de référence Les nouvellesd’Afghanistan, elles craignent que cette décision, dont certains de leurs personnels peuvent ou pourraient pourtant «bénéficier», ne porte pas le message adéquat, voire préfigure un abandon total.
Éric Cheysson, infatigable et énergique président de La Chaine de l’Espoir, tempête. Son Institut pour la Mère et l’Enfant, remarquable institution, financée en grande partie par la France et cogérée avec le Réseau de Développement de l’Aga Khan, emploie près de 1.000 personnes en Afghanistan. Il s’oppose catégoriquement au départ de ce personnel qui, pour lui, n’est pas menacé et doit d’abord poursuivre sa mission.
Pourtant, rien n’y fait: craignant, semble-t-il, le pire, nos responsables maintiennent leur décision.
Le personnel français reste, quant à lui, sur place, mais, faute de moyens humains, c’est toute l’activité de la France en matière de coopération économique, culturelle, de santé, de formation et d’enseignement, qui pourrait se voir ainsi rapidement réduite à néant.
Qui plus est, nous faisons cavalier seul: les autres pays européens ne semblent pas avoir bougé et la quasi-totalité des ambassadeurs des pays membres de l’Union européenne, présents à Kaboul, s’indignent ou s’étonnent de l’absence de toute concertation préalable avec la France.
Les plus hautes autorités afghanes, elles-mêmes engagées dans un combat meurtrier avec les Talibans, ont à peine été informées. Cette décision précipitée coupe l’herbe sous le pied du gouvernement afghan, au moment même où il mène la rude négociation d’un futur règlement de paix, passant par le départ annoncé des Américains et l’entrée probable des talibans dans le gouvernement du pays et de ses provinces.
Le traité d’amitié et de coopération franco-afghan, signé, le 27 janvier 2012, par le président Nicolas Sarkozy et le président Hamed Karzai, (une fois au pouvoir, le président Hollande y a souscrit et l’a fait ratifier par son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius) est, de facto, jeté aux orties, alors même que nous aurions dû célébrer l’année prochaine l’anniversaire des cent ans de l’ouverture des relations diplomatiques entre nos deux pays et de la création de la prestigieuse Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA).
L’amitié franco-afghane, si ancienne, renforcée encore par l’épopée des french-doctors pendant la lutte contre l’invasion soviétique, n’était-elle pas pourtant célébrée chaleureusement, le 26 mars dernier, par notre ministre des Affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, alors qu’il recevait M. Abdullah Abdullah, président du conseil pour la réconciliation nationale afghan, venu à Paris à l’occasion de l’inauguration d’une plaque au nom du Commandant Ahmed Shah Massoud?
Par ailleurs, l’admission privilégiée en France, au titre du droit d’asile, de plus de 600 émigrés afghans n’est pas sans risque. On aurait pu imaginer la mise en place d’un plan de rapatriement progressif, étalé dans le temps et étroitement lié au développement de la situation politique et sécuritaire sur place. C’est la responsabilité et le devoir d’une ambassade dans un pays en crise. Ceci aurait eu au moins le mérite de ne pas priver notre représentation diplomatique de tout moyen humain, à un moment particulièrement sensible, tout en évitant ou, à tout le moins, en ralentissant une très probable explosion de l’émigration afghane vers notre pays.
Comment, en effet, faire face désormais à l’afflux de migrants afghans, légaux ou illégaux, qui constituent d’ores et déjà la première nationalité des demandeurs d’asile et qui, flairant l’effet d’aubaine, risquent de se précipiter vers la France, laissant nos autorités bien démunies pour les canaliser ou les rejeter sans violer l’esprit et le texte des conventions internationales sur l’émigration?
Las, partout nous plions bagage au plus vite dans la précipitation. Nous abandonnons le nord de la Syrie, la Libye, l’ensemble du Proche-Orient, l’Afghanistan, discrètement, sans tambours ni trompettes. Surtout pas de problèmes, pas d’histoires !
Pourtant la voix de la France n’est grande que quand elle se fait entendre.
Il n’est peut-être pas trop tard pour se ressaisir.