S’il y a un miracle économique rwandais, le Rwanda Development Board (RDB) ne peut manquer d’y être pour quelque chose dans le sillon de l’approche que le président Paul Kagame a concrétisée pour mettre son pays sur une orbite nouvelle. Organisme public chargé d’accompagner et d’accélérer le développement économique du pays des mille collines, le RDB a, entre autres comme mission de donner au secteur privé la croissance qui lui permettra d’impacter de manière profonde et durable les structures du pays. Il n’est pas donc pas étonnant qu’il ait été une étape obligée de la délégation française qui a accompagné le président Emmanuel Macron à Kigali les 27 et 28 mai derniers. L’occasion de concrétiser des accords ainsi que d’initier des projets dans des secteurs identifiés comme prioritaires par le gouvernement rwandais. Pour nous en livrer le rôle et l’impact face aux enjeux cruciaux du moment, sa présidente Clare Akamanzi s’est confiée au Point Afrique. Diplômée en droit de l’université de Makerere de Kampala (Ouganda) avant une spécialisation en droit de l’investissement de l’université de Pretoria et un master en Administration publique de l’université Harvard, à Cambridge, dans le Massachusetts, Clare Akamanzi connaît bien la maison qu’elle a rejointe en 2006, deux ans après une expérience à l’administration centrale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où elle a représenté son pays comme négociatrice.
Le Point Afrique : Du point de vue de RDB, institution au c?ur de la stratégie Rwanda 2035, quel était l’enjeu de la visite historique du président français Emmanuel Macron à Kigali ?
Clare Akamanzi : Le mandat principal de RDB est de faciliter un développement tiré par le secteur privé, notamment par l’augmentation des investissements et des exportations. La visite historique du président Emmanuel Macron et de sa délégation nous a donné l’occasion de présenter le Rwanda comme un centre d’affaires et d’investissements attractif dans la région et sur le continent. Il est important de noter que le Rwanda se classe comme le deuxième endroit le plus facile pour faire des affaires en Afrique dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale. Lors de notre rencontre avec la délégation économique française qui a accompagné le président français, nous avons pu présenter les opportunités d’investissement dans les secteurs des mines, de l’eau et de l’électricité, de l’immobilier, des infrastructures, de l’agriculture, du tourisme, des TIC et de la finance. Le contexte politique entre nos deux pays est un facteur important pour les relations commerciales et économiques. De fait, la visite a été un signal positif pour que les entreprises françaises et rwandaises puissent sérieusement exploiter les opportunités sur leurs marchés respectifs. En effet, nous constatons un intérêt croissant pour les investissements français et espérons que beaucoup plus d’entreprises de l’Hexagone investiront au Rwanda après cette visite.
Plusieurs accords ont été signés, concrétisant le début d’une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays, notamment dans le domaine économique. Quelles sont les attentes du Rwanda à ce niveau ? Quelle orientation souhaitez-vous donner à ce nouveau partenariat ?
Le Rwanda souhaite encourager les échanges commerciaux mutuellement bénéfiques. Nous souhaitons voir davantage d’investissements français s’établir dans la région. Nous voyons déjà des signaux positifs forts. Cela est mis en évidence par les projets de développement soutenus par l’AFD (Agence française de développement) et les investissements privés d’origine française qui ne cessent d’augmenter, comme ceux du Groupe Vivendi et du Groupe Duval.
La relation bilatérale actuelle ouvre encore plus d’opportunités commerciales et d’investissement à saisir. Avec un marché en pleine croissance et une plus grande facilité d’accès, le Rwanda est un endroit idéal pour que des entreprises françaises s’implantent. Le Rwanda a présenté un large éventail d’opportunités économiques pour les investisseurs français dans plusieurs secteurs économiques stratégiques. Cela a commencé à porter ses fruits puisque les investisseurs français ont exprimé leur engagement à investir au Rwanda, en particulier dans les projets d’infrastructure, les TIC et l’agriculture. Notre pays a l’intention de tirer parti des engagements pris au plus haut niveau et d’inciter les secteurs privés à en profiter au maximum.
Parmi les accords signés, la formation professionnelle apparaît comme une priorité pour le Rwanda, et ce en direction des jeunes qui porteront les ambitions rwandaises inscrites dans la stratégie Rwanda 2035?
L’un de nos objectifs économiques les plus importants est de créer des emplois significatifs pour nos jeunes. Par conséquent, le développement des compétences est une priorité clé de la politique de développement du Rwanda telle que contenue dans la stratégie Rwanda 2035. Le capital humain ? l’éducation, les compétences et la santé des personnes ? est appelé à jouer un rôle central dans la transformation de notre économie. Je rappelle que notre stratégie nationale de transformation ? NST1 ? prévoit que 60 % des jeunes suivent un programme d’enseignement et de formation technique professionnelle (EFTP) d’ici 2024, ce qui nécessite de créer davantage de centres de formation, d’équiper les centres d’EFTP en matériel, et de disposer de formateurs qualifiés.
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L’EFTP augmente l’employabilité des jeunes grâce à l’acquisition des compétences techniques exigées par les investisseurs et la formation professionnelle continue va permettre de maintenir la productivité de la main-d’?uvre et de s’adapter à l’évolution des technologies. Nous sommes donc désireux de développer des partenariats en matière de formation, de placements et d’investissements qui catalysent l’emploi.
Cette stratégie vise un certain nombre de secteurs. Dans quels secteurs êtes-vous intéressés par l’expertise ou les investissements français ?
La transformation économique du Rwanda veut avoir comme locomotive le secteur privé. Nous restons déterminés à attirer et à faciliter les Investissements directs étrangers afin de parvenir à une croissance soutenue et robuste. Le RDB a l’intention d’engager des partenaires français à travailler sur certaines initiatives en cours à commencer par le programme « Visit Rwanda », lequel vise à accroître la visibilité globale du Rwanda et à stimuler les investissements touristiques et hôteliers dans le pays. Il y a ensuite le programme « Made in Rwanda » qui positionne le Rwanda comme un endroit idéal pour les entreprises françaises pour fabriquer des biens pour les marchés nationaux, régionaux et internationaux. Nous ciblons la production de matériaux de construction, l’agro-transformation, les textiles et les vêtements, l’assemblage de produits électroniques, les produits pharmaceutiques, entre autres. Il y a aussi le programme « Start in Rwanda » qui fait de notre pays un endroit idéal pour l’innovation grâce à la qualité de ses infrastructures, de son cadre réglementaire marqué par la transparence et de son environnement commercial favorable. Les entreprises françaises peuvent établir des concepts de projets en introduisant de nouvelles idées de produits et de modèles d’affaires. Le secteur des TIC et celui de l’innovation sont principalement visés. De quoi comprendre par exemple notre participation à l’exposition et à la conférence VivaTech en France, qui nous a beaucoup intéressés.
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Au menu de ce partenariat, il y a également le sport qui semble prendre de l’importance au Rwanda. Kigali a d’ailleurs accueilli la Ligue africaine de basket-ball. Quel est l’intérêt sur le plan économique, mais aussi sur le plan social ?
Le secteur du sport, qui représente plusieurs milliards d’euros à l’échelle mondiale, offre un énorme potentiel économique aux investisseurs et à notre population qui en bénéficiera directement ou indirectement. Le gouvernement rwandais a pris une décision stratégique en investissant dans les infrastructures sportives afin de renforcer son ambition de devenir une destination pour les événements sportifs sur le continent. L’investissement dans l’arène de Kigali qui a accueilli la première Ligue africaine de basket-ball en est un exemple ; d’autres investissements incluent le club de golf de Kigali qui a été redessiné par une société française appelée Gregory International et géré par une autre société française U-golf. Il y a aussi le stade de cricket et la modernisation imminente des stades existants.
En recevant la phase finale de la Ligue africaine de basket-ball, pendant continental de la NBA, le Rwanda a affiché sa volonté de faire du sport un secteur de création de valeur pour son développement. © RDB
Nous encourageons le secteur privé à saisir cette opportunité et à investir dans ce secteur qui présente un grand potentiel économique. Il est également important de noter que les avantages économiques qui découlent de l’organisation d’événements sportifs se répercutent sur divers secteurs : hébergement, accueil, transport et logistique, pour n’en citer que quelques-uns. Nous considérons donc que cette stratégie peut apporter une grande valeur ajoutée à notre économie.
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Sur le plan social, nous considérons qu’il s’agit d’une source importante de divertissement et de rapprochement des personnes, tout en développant les talents sportifs du pays. Nous continuerons également à utiliser le sport pour promouvoir les priorités nationales, comme Visit Rwanda avec le PSG et Arsenal.
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Pour conclure, malgré le développement qu’on lui connaît, le Rwanda a aussi senti l’impact de la crise du Covid-19 sur son économie. Dans quelle mesure le modèle économique adopté jusqu’à présent a-t-il été, ou sera-t-il, orienté pour s’adapter à ce contexte de reprise ?
Le bouleversement économique causé par la pandémie du Covid-19 a entraîné un déclin dans presque tous les secteurs de l’économie, au Rwanda et dans le monde. La pandémie a considérablement perturbé l’approvisionnement mondial en biens et services. Les chiffres de l’Institut national des statistiques montrent que l’économie du Rwanda s’est contractée de 3,4 % en 2020, par rapport à 2019, où elle avait progressé de 9,4 %. En 2020, RDB a enregistré des investissements d’une valeur de 1,30 milliard de dollars US, contre 2,46 milliards de dollars US en 2019. Nous avons toutefois constaté une augmentation des investissements dans les TIC et dans la fabrication de certains sous-secteurs comme les EPI, les masques, etc.
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Pour relever ce défi économique, le Rwanda a pris plusieurs mesures de relance économique. À travers le Fonds de relance économique notamment. Ce fonds de 100 millions de dollars a été créé pour permettre aux entreprises touchées par le Covid-19 de reprendre ou de maintenir leurs activités, mais aussi de préserver leurs emplois. Le fonds comprend des options de refinancement pour les hôtels, des prêts de fonds de roulement pour les entreprises et des systèmes de garantie pour les PME. Il accorde aussi, aux microentreprises et aux entreprises à fort potentiel, des prêts à des taux favorables. Le fonds devrait accroître ses interventions au fur et à mesure qu’il aura des disponibilités.
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Nous avons également mis en place le programme « Manufacture and Build to Recover (MBRP) » (« Fabriquer et construire pour récupérer »). Ce programme a été mis en place pour accélérer la reprise des secteurs de la fabrication, de la construction et de l’immobilier ainsi que de l’agroalimentaire ? en particulier dans la production de substituts aux importations. Il vise cette démarche en réduisant les coûts des affaires et en fournissant d’autres avantages et incitations aux fabricants.
Pour l’avenir, nous pensons que le Rwanda va rebondir et afficher rapidement une forte croissance. Cela sera grâce à de solides investissements dans des secteurs et projets stratégiques qui déboucheront sur des réformes structurelles. Des programmes tels que MBRP seront au premier plan de la reconstruction. Déjà, 21 entreprises en font partie et nous nous attendons à y voir intégrées des activités économiques variées qui contribueront à l’autosuffisance tout en aidant à la reprise.