Être une femme d’émigré, surtout en cette période de pandémie de Covid-19, peut être une vraie épreuve. Perte de ressources financières, poids de la distance et de la belle-famille ; le rêve a presque viré au cauchemar. Seneweb vous propose des témoignages poignants doublés de l’avis d’un psychologue et d’un islamologue.
Diouma Ndiaye, la cinquantaine, est mariée à un émigré établi en Italie depuis des années. Habillée en tenue Wax, la jeune dame, qui tient un atelier de couture à Zac Mbao, discute avec quelques-uns de ses clients trouvés sur place. Après quelques minutes d’échanges, elle accepte de partager sa peine en cette période d’épidémie.
La mère de famille se dit inquiète pour son époux qui se trouve dans l’un des pays les plus touchés par la Covid-19. « Mon mari a migré depuis une vingtaine d’années. Il avait utilisé les papiers d’un de ses amis pour voyager. Depuis lors, il n’est pas revenu au Sénégal. J’ai trois enfants qui sont maintenant majeurs ».
Diouma Ndiaye est loin d’être un cas isolé. Au Sénégal, ils sont nombreux, ces jeunes, qui se rendent à l’étranger, laissant derrière eux leur femme des années durant. Parfois en situation irrégulière, ils passent dans leur pays d’accueil cinq, dix, voire vingt ans sans retourner au pays.
Pendant ce temps, la femme restée au bercail endure toutes sortes de difficultés. La plupart d’entre elles souhaitent rejoindre leur mari à l’étranger. Un souhait qui reste pour le moment impossible, du fait que le conjoint ne dispose pas de papiers en règle. A cela s’ajoute la pandémie de Covid-19 qui a fait son apparition dans le monde entier, il y a plus d’une année.
Au début, c’était surtout la crainte pour le mari face aux ravages de la Covid-19 en Occident. « J’étais très inquiète pour mon mari. Au début, pour me rassurer, il m’appelait pratiquement tous les jours. Alhamdoulillah ! Il n’a jamais été infecté, mais cela ne m’empêche pas de me soucier de lui », se souvient-elle.
Mais avec le temps, la peur a laissé place à la réduction des ressources financières. Pour Diouma, la situation reste acceptable, car malgré plusieurs périodes de confinement, son mari continue son travail à temps partiel.
Ce qui n’est pas le cas de tous les émigrés. Résidante à la Sicap-Foire, Kiné Ngom, nouvelle mariée âgée de 25 ans, est étudiante dans une université de la place. Elle s’inquiète déjà pour ses études, car les frais de scolarité et autres dépenses sont assurés par son mari. Or, avec l’épidémie, tout a changé. Il est resté des mois sans travailler.
« Il faut savoir que cette épidémie est juste une épreuve. Certes, chaque fin du mois, mon mari m’envoyait de l’argent pour mes études et mes dépenses ; mais je ne vais pas lui en vouloir s’il est resté des mois sans m’envoyer de l’argent. Heureusement que les activités reprennent petit à petit en Europe. Et je prie le bon Dieu de nous aider à surmonter cette épreuve pour que tout redevienne à la normale. »
Pour l’instant, le plus important, pour elle, est de savoir que son mari est en sécurité là où il est.
« J’ai fait une fausse-couche à cause de la pression familiale »
Résidant à la Liberté 4 avec sa belle-famille, Codou Fall, la trentaine révolue, est mariée à un émigré parti depuis trois ans. Cette jeune dame sans enfant semble être une femme courageuse. Mais derrière cette apparence joviale, se cache un chagrin.
« Durant trois ans de mariage, on n’a vécu que quelques mois. On venait tout juste de se marier, quand il m’a annoncé qu’il allait partir en Italie pour pouvoir m’offrir une meilleure vie. Au début, c’était très difficile pour moi, mais je n’avais pas le choix, car je ne pouvais rien contre cela », a fait savoir Codou.
Malgré l’amour qui existe entre son mari et elle, du côté de sa belle-famille, Codou vit l’enfer. Après le départ de son mari en Italie, Codou Fall n’a pas eu la possibilité de poursuivre ses études, la belle-famille ne l’ayant pas encouragée. Mais l’épreuve que cette jeune dame n’oubliera jamais, c’est la perte de son bébé, à quelques mois de grossesse.
« Quelques semaines après le départ de mon mari, j’ai découvert que j’étais enceinte. J’étais à nouveau heureuse, car je m’étais dit que désormais je ne serai plus seule. Mais le problème, c’était ma belle-mère ; elle m’obligeait à faire toutes les tâches ménagères, alors qu’elle savait pertinemment que je portais une grossesse. A cause de la fatigue, j’ai fini par avorter. En même temps, j’avais mes études à gérer. D’ailleurs, c’est comme ça que j’ai arrêté mes études pour subvenir aux besoins de mes beaux-parents », confie-t-elle.
Une situation qui va de mal en pis. Selon Codou, le projet de fonder une famille fait partie de ses principes. Mais avec la distance qui la sépare de son mari, ce vœu reste pour le moment irréalisable. En attendant le retour de son époux, Codou essaye de noyer cette souffrance dans les appels téléphoniques.
« 2 ans de mariage sans voir mon mari, mais je garde toujours espoir »
Mariée depuis 2018 avec son cousin qu’il n’a pas revu depuis 2015, Sokhna Dieng garde toujours espoir. Agée de 22 ans, cette étudiante souhaite être auprès de son mari, car elle ne supporte pas de vivre un amour à distance.
« Il y a de cela deux ans que je me suis mariée avec mon cousin. Lorsqu’il partait en France, on était en couple et il m’avait promis le mariage. Une promesse qu’il a tenue. Mais le problème en est que depuis lors, il n’est jamais revenu, mais je garde toujours espoir de le revoir un jour. On se parle uniquement sur WhatsApp. Par contre, son souhait le plus ardent est que je le rejoigne », confie-t-elle.
Mais pour que ce vœu se réalise, Sokhna va devoir attendre un bon moment, car son mari vient tout juste de terminer ses études.
« On le vit normalement »
Contrairement à ces dernières, Khady Fall, elle, a la possibilité de voir son mari chaque six mois. Employée dans une entreprise de la place, cette jeune dame âgée de 27 ans s’est mariée avec un émigré depuis 2018. Cette distance reste certes un poids difficile à supporter, mais pour elle, tout est une question de choix.
« On le vit normalement. C’est vrai que c’est difficile et pas évident pour certains, mais on se dit qu’après tout, c’est un choix que nous avons tous deux fait. La difficulté principale est l’incompréhension des fois. L’un des conjoints peut ne pas comprendre ou peut interpréter autrement certains aspects, réalités et comportements de l’autre », a-t-elle fait savoir.
Pour l’instant, elle rêve surtout d’avoir un jour son mari à ses côtés.
Le mariage à distance vu sur le plan psychologique…
Sur le plan psychologique, diverses sont les tentations que subit la famille de l’immigré, d’après Cheikh Cissé, psychologie. Surtout venant de la gent féminine.
« Il y a une étude menée par Fatou Bintou Dial sur l’immigration entre l’Afrique et l’Europe, qui montre que dans le contexte sénégalais ou africain de façon générale, le mariage n’est pas seulement une union entre les individus, mais c’est également un pacte entre deux familles, et la famille d’accueil ou bien la belle-famille a effectivement un droit de regard et de contrôle sur les moindres faits et gestes de la femme du migrant », a fait savoir le psychologue.
Selon ce dernier, souvent, c’est la belle-famille qui a un œil attentif sur les moindres faits et gestes, et cela peut être vécu comme une sorte de harcèlement. Par exemple, quand la femme doit sortir, elle doit demander la permission à la belle-famille.
« Tout ce qu’elle doit faire en l’absence du mari, il faut avoir l’aval de la belle-famille et cela peut être vécu comme une sorte de contrainte extrêmement importante. Et cela peut effectivement entraîner des regrets, parce qu’il y a ce contrôle permanent », fait-il remarquer.
… et sur le plan financier
Pour lui, il y a également la problématique du transfert de fonds qui se pose. Souvent, la femme du migrant est perçue au niveau de son quartier ou de son village comme une personne aisée, tout simplement parce que son mari est à l’étranger.
« Nous savons tous le contexte dans lequel vivent les migrants en Europe. C’est un contexte de crise et il n’est pas évident de gagner beaucoup d’argent là-bas. Et maintenant, cette femme-là qui est vue comme une personne riche ou une personne qui, financièrement, se porte bien et souvent ce n’est pas le cas. Quand on la sollicite et qu’elle dit qu’elle n’a pas les moyens d’aider, elle sera taxée de pingre et va vivre également cette pression en interne », renseigne-t-il.
Tentations
Par ailleurs, ces femmes de migrants sont exposées à toutes les formes de violence. Il y a aussi les tentations. Et rares sont celles qui réussissent à y échapper. Souvent, ce sont des femmes qui s’adonnent à des pratiques pas du tout catholiques comme l’adultère ou avoir des enfants hors mariage, tout simplement parce que le mari est à l’étranger, ajoute le psychologue.
« Il y a un jugement social qui va effectivement s’exercer sur elle et ça peut causer également ce qu’on appelle un stress permanent, du fait de l’absence d’enfant, à cause de la distance. Le mariage, c’est la procréation ; quand on prend une femme, c’est pour avoir des enfants. Maintenant, si le mari est à l’étranger et que la femme prend de l’âge, vous voyez le stress que cela peut causer à la femme, tout simplement parce qu’elle se pose des questions sur le fait qu’elle n’arrive pas encore à avoir d’enfant. Individuellement, la femme va vivre ce stress, mais elle sera également jugée par l’entourage et la société avec des mots qu’elle va recevoir tous les jours (« tu es âgée » ; « tu n’as pas encore d’enfant »). Parfois, c’est ce qui les pousse à commettre l’adultère ».
Gestion de la famille
Selon Abdoulaye Cissé, il y a également la gestion de la famille, avec l’éducation des enfants qui pose souvent problème. « Si le père est en Europe, la femme à elle seule ne peut assurer l’éducation des enfants, notamment par rapport au contexte dans lequel nous vivons maintenant au Sénégal avec cet individualisme galopant qui gagne de plus en plus de terrain ».
Abdoulaye Cissé de renseigner qu’il y a également la menace des ménages polygames. « Si le migrant réussi à l’étranger, il lui sera facile de prendre une deuxième femme. Alors que quand les temps étaient durs, c’est la première femme qui était là à patienter. Donc, il y a toutes ces questions-là qui se posent et qui peuvent être effectivement des facteurs de stress vécu par la famille laissée au pays ou bien par la femme de ce migrant ».
La position de l’islam
Pour l’islamologue imam Kanté, en cas de voyage du mari, il faut savoir gérer l’absence par une communication régulière et des retours chaque fois que possible.
« Si l’épouse ne peut plus supporter la distance et que le mari ne peut pas revenir, elle est libre de demander le divorce au lieu de verser dans l’adultère ».