En Afrique du Sud, le secteur de la sécurité emploie 500.000 agents sur le terrain, source précieuse d’emplois dans un pays à plus de 30% de chômage, alors qu’il n’y a que quelque 150.000 policiers. Reportage avec ces mercenaires de la sécurité.
La nuit tombe sur un quartier cossu de Johannesburg et trois gardes armés jusqu’aux dents partent en patrouille. Un peu plus tôt, ils se retrouvaient pour revêtir l’uniforme, tester leurs fusils
d’assaut… et prier. Après avoir détaillé les incidents des douze dernières heures, dans la
salle de gym de la « caserne », le commandant interroge la relève, une dizaine de ninjas au garde-à-vous: « D’autres questions? Alors on baisse la tête ». Casquettes retirées entre mains jointes. Amen.
« Je prie aussi chaque matin », confie à l’AFP Forget Ndlovu. « Ce boulot est dangereux, tu ne sais jamais si tu vas rentrer à la maison. On aide les autres à avoir une meilleure vie », plaisante ce chef d’équipe de 46 ans, qui reconnaît être « nettement mieux payé » qu’un policier. D’ailleurs ici, dans les banlieues riches, « les gens comptent sur nous, pas sur la police », inefficace et gourmande en bakchichs, confie ce vétéran de Cortac, entreprise de sécurité privée incontournable dans la mégalopole de 4,5 millions d’habitants. Les agents privés sont « bien plus nombreux à patrouiller la nuit que la police ». Le CV des « privés »: un permis de conduire, une formation aux armes à feu, un casier judiciaire vide.
De nombreuses fausses alertes
Deux ou trois hommes par pick-up, dont l’un avec un maître-chien et son animal. « Pour débusquer des suspects quand on sait qu’ils se cachent après une intrusion », confie Ryan, 25 ans, qui préfère ne pas donner son nom de famille. Dans la lumière rosée du soir, des joggeurs saluent au passage le véhicule, les gardes dans leurs étroites casemates aussi. Un paysage de complexes cachés derrière des grilles, barrières actionnées par un gardien, murs hauts et barbelés. Dès 17H00, dans ce quartier de Linksfield, les alarmes suraiguës se mêlent aux aboiements des chiens. C’est l’heure de pointe pour la sécurité privée qui protège chaque maison. Impensable de vivre sans eux, tant la criminalité est élevée. Et à cette heure, les gens rentrent de leur journée, oubliant l’alarme ou la déclenchant sans faire exprès, multipliant les fausses alertes.
L’insécurité, très réelle dans la capitale économique sud-africaine et aggravée par la misère liée à la pandémie, nourrit une grande méfiance. Sujet de conversation récurrent, obsession locale. Dans ce pays archi-dangereux, l’un des plus violents au monde – avec notamment un taux de 36 meurtres pour 100.000 habitants, contre une moyenne mondiale de sept, il ne s’agit pas de mollir.
A « Joburg », les trajets à pied sont fortement déconseillés. Des promeneurs se font braquer chaque jour. Des voisins partagent, sur des groupes Whatsapp, les détails des derniers cambriolages ou agressions. Modus operandi, descriptions de suspects… Tout d’un coup, il faut foncer, un abonné a déclenché son « bouton panique ». Dans le pick-up, la conversation s’arrête. Peut-être une vraie urgence. Deux rues avant la destination, le central rappelle sur le talkie. « Fausse alerte ».
Une méfiance exacerbée
Vingt minutes plus tard, une autre urgence. Cette fois dans un centre commercial. Les hommes, fusil en main, sautent du pick-up et partent en courant. « Ouh là les chéries on s’éloigne, il se passe quelques chose », s’exclame un coiffeur qui ramène ses clientes dans sa boutique. Tension palpable sur le parking. Chacun retient son souffle. « Appuyé sur le bouton par erreur », rapporte laconique l’un des agents.
La routine consiste à conduire lentement et en boucle dans le quartier. Sans jamais répéter le trajet, il faut tromper l’ennemi. Mpengesi et Mabuya, qui ne donnent que leur prénom, ne changent jamais de périmètre. « Comme ça on connait chaque recoin ». Ralentir quand on repère une voiture qui rentre ou sort d’un garage. Attendre la fin de la manoeuvre. « C’est souvent dans ces quelques secondes que les braqueurs attaquent ». Un portail resté ouvert. On sonne. « La propriétaire attend un réparateur ». D’accord, on alerte les autres voitures.
Régulièrement, « la salle de contrôle reçoit des appels signalant des gens ou comportements suspects », confie Mabuya. Comme cette voiture stationnée depuis un moment, un homme noir au volant. L’équipe Cortac intervient, interroge le monsieur, un chauffeur Uber qui attend le client. « On lui a dit de circuler, il fout les jetons aux voisins ».