« On ne fait rien, on attend que les sociétés minières qui exploitent l’or nous embauchent… J’ai déjà postulé plusieurs fois à un emploi non qualifié, mais même là on nous demande des diplômes. C’est très difficile, je suis l’aîné de la famille et je ne ramène pas d’argent à la maison », se désole Mouminy Sylla sous le regard de ses camarades, qui acquiescent de la tête.
Non diplômés et sans emploi, ils ont tous participé aux marches de protestation qui ont eu lieu dans la ville le 9 avril puis le 23 mai, à l’initiative de l’Association des élèves et étudiants ressortissants de Kédougou (Aeerk). L’objectif : tenter de bénéficier eux aussi d’une petite partie de la richesse locale en intégrant les sociétés minières étrangères installées dans la région.
Frustrations et incompréhension
Malgré cela, la région figure parmi les plus pauvres du Sénégal : on y enregistre un taux de chômage de 26,3 % (contre 15 % au niveau national). Les raisons de cette situation ? « Le manque de main-d’œuvre qualifiée comparé à la demande sur le marché du travail et un énorme défi de gouvernance », pointe un rapport du Timbuktu Institute sur cette zone frontalière du Mali et de la Guinée.
Ce contraste entre la précarité des populations et la richesse des sols nourrit les frustrations et l’incompréhension. Amadou Tidiane Sy est en train de terminer son master 2 en économie rurale et politique agricole à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (UCAD). Dans la capitale sénégalaise, il est logé dans l’un des trois immeubles que financent les sociétés minières en soutien aux étudiants de la région de Kédougou – une concession obtenue lors de précédents mouvements de revendications.
Mais lui aussi passe sa journée à discuter avec ses amis dans les rues de sa ville d’origine. « Nous avons des capacités. Même si nos diplômes ne correspondent pas toujours aux besoins directs des compagnies minières, elles font des formations en interne pour les personnes recrutées, auxquelles nous voudrions avoir accès », explique le jeune homme, qui se plaint du manque de transparence et d’accès à l’information dans les processus de recrutement. « J’ai envoyé mon CV, on m’a dit que j’aurais une réponse trois semaines plus tard. Et des mois après, j’attends toujours », raconte-t-il, défaitiste.
« Des postes à hauteur de nos diplômes »
Pourtant, selon les chiffres de l’inspection du travail, 56 % des 1 216 employés de la société australienne Petowal Mining Company (PMC), qui exploite la mine de Mako depuis 2018, sont résidents de la région de Kédougou. Le reste de la masse salariale vient à 35 % d’autres régions du Sénégal et 9 % sont des expatriés. Des ratios similaires sont observés dans la mine de Sabodala, exploitée depuis 2009 et rachetée par la multinationale canadienne Endeavour Mining en 2020, où 43 % des 1 690 employés sont des locaux.
Des chiffres qui ne convainquent pas Karamokho Samoura, président de l’Aeerk et étudiant en master 2 de géologie à l’UCAD. « Les emplois créés ne sont pas qualifiés. Les ouvriers travaillent dur, sont surexploités, et cela pour seulement 150 000 francs CFA par mois [229 euros]. Nous souhaitons un accès aux postes stratégiques à hauteur de nos diplômes », explique le jeune homme.
Inspecteur général du travail de la région, Mamadou Mbengue tente de modérer le propos. Il souligne que les entreprises mettent en place des comités locaux de recrutement et des ateliers de formation pour que les employés gagnent en compétences et puissent construire un plan de carrière. « Je connais des salariés embauchés comme ouvriers et qui sont devenus managers ou chefs d’équipe », assure-t-il, tout en reconnaissant que l’équation est difficile. Les sociétés recrutent surtout parmi les villages à proximité des sites miniers. « Le chômage se ressent donc davantage au niveau du centre urbain », admet Mamadou Mbengue.
Privilégier la main-d’œuvre locale
Les revendications des habitants ne concernent pas seulement le travail direct avec les mines. Il s’agit aussi d’obtenir davantage de retombées pour l’économie locale dans son ensemble.
A une trentaine de kilomètres de Kédougou, le village de Tomborokoto et ses cases en paille aux toits pointus sont tout proches de la mine de Mako, exploitée par PMC. C’est ici qu’habite Idrissa Diallo, qui travaille dans le bâtiment et le commerce. Avec d’autres jeunes du village, il milite pour que la société minière achète ses produits de consommation localement au lieu de se fournir à Dakar ou à l’étranger. « Que ce soit dans la restauration, le transport, l’hébergement ou la vente de volaille et de produits maraîchers, de nombreux emplois indirects pourraient être créés », assure-t-il.
Face à ce malaise, le gouverneur Saer Ndao a décidé de mettre tous les acteurs autour d’une même table. « Les sociétés minières ont fait des efforts pour endiguer le sous-emploi, mais si elles peuvent offrir des opportunités, elles ne peuvent pas tout résorber, estime-t-il. Elles doivent donc mieux communiquer auprès des jeunes et des autorités et être plus transparentes concernant les procédures de recrutement, qui doivent se faire en fonction du mérite et en privilégiant la main-d’œuvre locale. »
Contactées par Le Monde Afrique, les compagnies minières en cours d’exploitation n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Théa Ollivier(Kédougou, Sénégal, envoyée spéciale)